Esprits sensibles s'abstenir
Après avoir refermé ce livre une seule question subsiste: comment une écriture si raffinée peut-elle servir des propos aussi infâmes? C'est une véritable esthétique du contraste qui est mise en oeuvre ici: les mots et les idées, le beau et l'abject, la réalité et la fiction s'entrechoquent dans cette lettre de dénonciation interminable. Paul-Jean Husson, écrivain reconnu, académicien, membre du jury Goncourt et fervent partisan de la politique hitlérienne entreprend dans cette lettre une véritable démarche de justification. Les évènements venus bouleverser sa famille depuis le mariage de son fils avec une jeune et belle Allemande nommée Ilse constituent le coeur du récit. Tout dans cette lettre nous porte à croire que son auteur ne peut que remettre en cause, au vu de ce qu'il traverse, la bien-pensance catholique bourgeoise et pétainiste dans laquelle il semble enfermé. Mais, l'esthétique du choc oeuvrant, le processus inverse se produit. Tous les traumatismes que subit cet écrivain antisémite sont interprétés comme autant de raisons d'éradiquer le youtre, le youpin, le bec crochu, cause de tous les malheurs. Le tout prend vie grâce à un style ciselé particulièrement efficace. On peut toutefois reprocher à ce livre un aspect romanesque un peu trop prononcé (notamment des coïncidences improbables qui ont tendance à se multiplier). Quelques passages peuvent également s'avérer difficiles à supporter. On ressent même une certaine fatigue, une forme d'écoeurement, face à cette haine permanente et profonde distillée au fil des pages. Mais c'est là en réalité tout l'objet du roman: montrer comment le poison s'infiltre dans les esprits même les plus cultivés, les plus intelligents. A travers le personnage de Paul Jean Husson l'auteur nous donne à voir une époque où l'intelligentzia parisienne, dans sa très grande majorité, a accueilli l'occupation à bras ouverts. Un roman fort servi par une très belle écriture.