Aujourd'hui, je vais vous parler d'un homme, un Corse pour être précis, un Corse énervé, un Corse en colère, un Corse qui en a gros. Cet homme, c'est le défunt Roger Caratini qui nous a quittés en 2009, encyclopédiste et écrivain de son état. Un homme qui avait déjà tout compris aux titres putaclics et qui a usé et abusé du procédé en foutant de l'imposture un peu partout (j'exagère à peine) dans sa bibliographie. Je ne vais pas remettre en cause les qualités du bonhomme que je ne connais pas hormis à travers le présent bouquin, je vais me contenter de critiquer avec fiel le fameux bouquin parce qu'il y a pas de raison qu'il soit le seul à critiquer.
Ce livre se targue de ne pas être un simple pamphlet, mieux il se vante d'être un ouvrage de référence historique si on en croit le quatrième de couverture. Ça commence mal, quand on tente aussi tôt dans un livre de se détacher d'une image, en l’occurrence le pamphlet ici, c'est qu'il y a des choses à se reprocher mais quand en plus, il y a l'audace de se penser référence alors là, on sait qu'on s'embarque dans du lourd, du très lourd Michel.
Et c'est parti pour 500 pages, dont 100 d'annexes et d'index !
Pas Corse, Génois !
Durant les 200 premières pages, on se tape du Napoléon en Corse parce que l'auteur Corse lui-même a de graves soucis avec la vie de Napo pré-Siège de Toulon. On va bouffer pendant des pages et des pages que Bonaparte est un bâtard, ses parents n'étant apparemment pas mariés et ça, c'est important. Tout comme le fait que son père était un arriviste et un coureur, que sa mère aurait eu des relations extra-conjugales pour aider les rejetons et que finalement dans cette famille, on est des m'as-tu vu de premier ordre. Mais surtout et c'est le fil conducteur de ces trop longues pages, Napoléon n'était pas Corse ! C'était un Génois, un putain de Génois qui vient s'approprier avec sa famille la terre et la gloire du peuple Corse ! Un peuple fier avec des valeurs ! Un peuple qui a souffert ! Un peuple dont il faut énormément de temps pour comprendre l'amour de sa terre natale !
Pardon, je m'emballe, le seizième de sang corse que j'ai en moi a vu rouge (Coucou à la famille de là-bas qui ne me lit surement pas). Roger va nous buriner dans le cerveau que les Bonaparte ne sont pas des Corses. Pourquoi ? Parce que ça ne fait que 200 ans au moment de la naissance de Napoléon que la famille est sur place. Dix putains de générations ! Mais non, les Bonaparte ne sont pas corses, ce sont des Génois ! Une chose est sure, la Corse mon petit Roger, tu la dessers complètement avec tes clichés digne de l'Enquête Corse. Ton parti pris nuit en plus complètement à ton fameux ouvrage historique, on le rappelle l'Histoire est censée être abordée de manière neutre et non avec un ridicule parti pris dû à un sang un peu trop bouillonnant et une fierté aveuglante.
De l'opportunisme, encore de l'opportunisme
Vient ensuite toute la partie sur la Révolution durant laquelle Roger va faire un procès à charge quasiment ininterrompu à l'égard du futur ogre, les seules qualités trouvées seront l’opportunisme et l'art de faire ce qu'on lui dit. La Campagne d'Italie n'étant en rien l'oeuvre de Bonaparte mais bien celle de son ministre qui, de Paris, devait avoir un ancêtre de BFM pour avoir la situation en temps réel puisqu'il était capable de planifier toute une campagne et d'anticiper le moindre événements nouveau au point que son général en chef n'avait qu'à appliquer ses directives. Roger va donc calmement nous dire qu'il n'est pas là pour refaire les batailles tout en ne se privant pas de flinguer celles qu'il juge trop flatteuses pour Napo. Du style, celle-ci n'a servi à rien ou celle-là est gagnée grâce aux stratèges de Paris.
On tire à tout va sur la Campagne d'Egypte pendant 40 pages pour enfin arriver un peu avant la page 340 à Napoléon chef d'état. Oui les amis, dans ce bouquin de 500 pages, moins 100 d'annexes, moins 200 de Corse, moins 140 de Révolution, on arrive enfin à Napoléon Consul puis Empereur pour 60 pages !
Hitler version 2.0 de Napoléon
Autant dire que durant ces 60 pages, ça se lâche et que le point Godwin nous est servi sur un plateau. Napoléon n'est rien de moins que le prédécesseur d'Hitler, c'est un tyran antisémite, négrier, assoiffé de sang, qui a détruit son pays et une bonne partie de l'Europe et contrairement à Adolf, lui il a le droit à une légende et des tas d'écrivains passés et actuels bouffent allègrement la propagande de l'époque pour l'acclamer jusqu'à aujourd'hui. Ses plus grandes oeuvres comme Austerlitz ou le Code qui porte son nom ne sont que de la chance ou de l'appropriation du travail d'autrui. Salauds de Bonapartistes !
La légende noire
On va maintenant laisser Roger se calmer sur le côté et revenir un peu vers l'Histoire. Oui, Napoléon était un tyran et il a su profiter d'opportunités qui lui étaient offertes, c'est d'ailleurs ce qui me fascine durant cette époque troublée de la Révolution, la capacité qu'ont eu certains hommes à s'extirper de leur condition pour atteindre les sommets de l'état. Murat le futur maréchal et roi de Naples, beauf' de l'empereur de surcroît, était fils d'aubergistes. Masséna est un orphelin qui renonce au métier de son père pour devenir simple mousse sur un navire marchand. Lannes était fils de marchand ou d'agriculteur, on ne sait pas très bien. Oudinot lui était un fils de brasseur. Bref, ces mecs-là ont su saisir leur chance et pas que grâce à des intrigues politiques dont ils sont à la base extérieurs pour la plupart. Il en est probablement de même pour Napoléon qui même si il frayait avec certains milieux qui pesaient en Corse n'était comme le dit Roger lui-même qu'un gosse issu d'une famille à la noblesse discutable.
Tout imputer a de la chance ou la capacité d'être là au bon moment, c'est détestablement réducteur et il suffit de comparer la taille de la partie sur Bonaparte d'avant la Révolution à celle d'après la Révolution pour constater que l'auteur n'a finalement pas grand chose à dire. Est ce que ça change quelque chose que les parents de Napoléon ne soient pas mariés ? Que son vieux couchait à droite, à gauche dans sa jeunesse ? Ou qu'ils étaient génois d'origine ? D'ailleurs à partir de quand peut-on se revendiquer de telle ou telle origine ? Je suis moi-même belge sauf que le pays n'existe pas depuis 200 ans, je dois donc me qualifier de Français, de Néerlandais, d'Autrichien ou d'Espagnol quand j'évoque mes origines ?
Le plus ridicule dans tout ça, c'est qu'il y a tant de choses à dire sur la période de l'Empire, tant de clous à enfoncer sur ce qu'a fait Napoléon à l'époque mais non, Roger préfère nous noyer sous des pages et des pages sur la famille et la jeunesse du futur Empereur. Quand il y a matière à approfondir comme sur l'antisémitisme ou la traite des esclaves, c'est balancé entre le fromage et le dessert avant de filer à la conclusion globale du livre. En foutant au passage des taquets à un gars comme Jean Tullard que j'ai entendu ou lu régulièrement souligner le négatif du règne de Napoléon mais pas assez pour Roger.
Caratini, une imposture (?)
Ce livre n'est pas bon, il est beaucoup trop long pour ce qu'il a à dire et pas assez pour ce qu'il aurait dû dire. Il manque cruellement d'objectivité et est incapable de taper juste quand il doit critiquer Bonaparte, se perdant dans des comparaisons absurdes avec l'Époque Contemporaine en ne tenant ni compte du contexte, ni des causes et des conséquences. Ce qui la fout mal quand on se glorifie de faire de l'Histoire avec un grand H. Cerise sur le gâteau, la corsitude de l'auteur qui sent le besoin de nous la mettre à toutes les sauces, allant même jusqu'à faire de la propagande pour "son" peuple.
Je conclurai sur une note assez démoralisante pour le féru d'Histoire lambda comme moi qui cherche à en savoir toujours plus et qui doit fouiller encore et encore pour trouver des récits plus ou moins neutres sur les sujets qui l'intéressent. Effectivement, on a tendance à ne voir derrière Napoléon que le Soleil d'Austerlitz, la punchline des Pyramides ou le parcours du petit Corse (et toc Roger) devenu Empereur alors qu'il y a une face plus sombre comme chez la majeure partie des personnages historiques. Ce n'est pas pour autant qu'il faut tomber dans l'excès inverse et tenter de complètement détruire une figure du passé parce qu'on a un contentieux limite personnel avec elle.
Sans rancune Roger.