Nature humaine, Serge Joncour, Flammarion, Prix Femina 2020
Voici l'histoire d'une famille d'éleveurs de vaches à viande dans le Lot sur un quart de siècle, de la grande sécheresse de l'été 1976 aux tempêtes de l'hiver 99. Et plus particulièrement celle du fils Alexandre, le seul des enfants à reprendre l'exploitation, tandis que ses sœurs vont fuir à la ville. Un quart de siècle et les secousses d'un monde, non pas encore la fin des paysans, mais les contraintes de la modernisation du monde agricole tandis que les citadins redécouvrent la campagne et luttent contre le nucléaire (le projet d'implantation de la centrale nucléaire de Golfech) ou, quelques années plus tard, contre le désenclavement du Massif central par une nouvelle autoroute du Sud et son aqueduc.
Un quart de siècle de bascule, d'inéluctable tectonique des plaques, avec ses résistants (le vieux chevrier Crayssac, réboussié comme l'on dit ici, compagnon de route des communistes, qui va passer ses week-ends sur le Larzac, un des plus beaux portraits du livre), ses résignés (les parents d'Alexandre, qui s'aperçoivent bien que leurs filles, quand elles reviennent de la ville pour leur rendre visite, ne s'intéressent plus du tout aux vaches ni aux prés de leur enfance), ses captifs (Alexandre qui ne sait pas s'il fait partie des « anciens » ou des « modernes » mais devra, tout
de même, sous la pression des hypermarchés qui essaiment, produire davantage aux conditions qu'on lui impose et abandonner l'élevage en plein air pour l'élevage intensif), et ses révoltés de l'ultra-gauche, que l'on ne disait pas encore « zadistes » mais qui faisaient sauter des pylônes d'Edf et les chantiers des futures centrales électriques.
Ce livre nous remémore l'extrême violence d'une époque où deux mondes jusqu'alors quasiment étanches (la ville et la campagne) vont devoir non plus coexister mais s'articuler : la ville va imposer, très rapidement, ses décors (les hypers, les centres commerciaux), ses infrastructures (les routes, les autoroutes), ses besoins (l'agriculture intensive) et ses mœurs à la campagne que vont investir de nouvelles forces militantes, citadines, contestataires et anti-capitalistes, qui tentent de faire barrage au mouvement.
A la faveur de cette néo-colonisation, d'un fait générationnel nouveau (la mobilité sociale des uns et des autres) et d'une jolie histoire d'amour entre Alexandre, le petit paysan, et une jeune allemande, étudiante à Toulouse, colocataire de sa sœur, écolo et proche des activistes de l'ultra-gauche, une alliance objective et circonstancielle va naître entre ruraux et citadins, qui est le meilleur et le plus fort du livre.
Car pour le reste (catastrophes industrielles, Tchernobyl, l'Amoco Cadiz, sols gorgés de nitrates ou de glyphosate, jambon cuit bien rose sous film plastique, campagnes défigurées ou maltraitées), l'aspect démonstratif du propos répand l'ennui. L'auteur, à force de rester à distance, paraît en surplomb. Rien ne sonne faux, mais rien ne sonne sensible. On lit ce livre sans passion ni entrain. On dit que son auteur aime beaucoup le Lot dans lequel il a déjà situé un précédent roman. En le refermant, du Lot, on ne sait toujours rien. Ni des pres ni des vaches, ni de la nature, ni des hommes. On songe au beau livre de Jean-Baptiste Del Amo « Le règne animal » qui racontait, en voisin, une histoire d'éleveurs de cochons dans le Gers sur plusieurs générations ou à ce qu'aurait pu faire de cette histoire une Annie Ernaux, si sensible au social. On en est loin. Joncour, c'est un peu Yannick Jadot romancier !
Cette « Nature humaine » a été récompensée par le Prix Fémina 2020.