Pour un quinqua comme moi, toujours plaisant de revivre ces années et les événements historiques qui les ont marquées : la sécheresse de 76, la montée du nucléaire, la résistance du Larzac, l'ascension de Thatcher, l'élection de Mitterrand, la chute du Mur, la tempête de 99, la crainte (infondée) du grand bug de l'an 2000... Le roman de Joncour nous rappelle également que la violence de la jeunesse ne date pas d'aujourd'hui. On a peut-être un peu oublié que des groupes d'activistes n'hésitaient pas à faire sauter des installations contraires à leurs convictions.
Dans ce maelström, Alexandre est un jeune paysan enfermé comme tant d'autres dans l'obligation de prendre la suite de ses parents. Mais aussi confronté à l'altérité radicale, à travers la figure d'une jeune Allemande éprise de voyages et jalouse de son indépendance. L'occasion pour Joncour d'aborder le thème de l'enracinement : Constanze est fascinée, en effet, par cette vie préservée, qui semble échapper au temps, où les soubresauts de l'Histoire n'affectent pas l'odeur de menthe sauvage des prés. Malgré tout, la tentation de la modernité est bien là, et Alexandre finit par y céder... avant de, finalement
décider de tout foutre en l'air.
Le sujet de Nature humaine, c'est donc bien cette tension entre verticalité (l'enracinement du monde d'avant, celui d'Alexandre) et horizontalité (l'ouverture au monde qui caractérise le monde moderne, celui de Constanze). Le chêne et le roseau : Alexandre est le chêne qui tire sa force de son immobilité, Constanze le roseau qui n'accepte aucun ancrage. Jusqu'à ce que le chêne accepte de s'adapter (l'investissement pour servir les supermarchés) et le roseau de prendre racine (le foyer qu'elle fonde avec un autre, tombant enceinte). L'auteur a opté pour une progression chronologique, entrecoupée par moments de flash forwards.
Tout cela n'est pas mal, mais nettement en-dessous du précédent opus de Joncour, Chien-loup, qui posaient des questions plus cruciales : la question de la modernité et du retour à la nature y était aussi traitée, mais doublée d'une réflexion sur la bestialité qui lui donnait sans doute plus de force.
Surtout, Nature humaine est nettement moins bien écrit. Les phrases y sont moins travaillées et l'on y trouve guère de trouvailles relevant régulièrement la sauce. En un mot, cette écriture m'a semblé bien paresseuse. Peut-être Joncour devrait-il ralentir son rythme de production ? Ne pas céder au "toujours plus" de la modernité, en somme. Un peu ce que suggère Nature humaine.