Retour de lecture sur “Nature humaine” un roman de Serge Joncour publié en 2020. Ce livre a obtenu le prix Femina, dans un contexte controversé, lié au fait que ce prix a été maintenu malgré le deuxième confinement Covid-19. Il nous raconte, à travers une saga familiale qui dure de 1976 à 1999, l’histoire d’Alexandre Fabrier, un fils d’agriculteur dans le Lot, qui se destine sans vraiment avoir le choix, ni pour autant être contre, à la reprise de l’exploitation familiale. Ses trois sœurs peu intéressées par la ferme rêvent d’un avenir ailleurs, en ville, et c’est donc tout naturellement que les parents préparent la transition avec leur fils, et lui cèdent l’ensemble de leur exploitation. A travers sa sœur aînée, Alexandre fera la connaissance d’une étudiante allemande Constanze, militante anti-nucléaire dont il tombera amoureux et de ses amis, qui sont des activistes bien plus virulents qu’elle. Ces relations, ainsi que la fréquentation d'un vieux voisin rebelle et taiseux, l'amèneront à un questionnement sur son métier, sa situation, son attitude par rapport à l’évolution de son environnement. On a à travers ce livre une fresque des bouleversements du monde agricole sur pratiquement un quart de siècle, avec notamment la désertification des campagnes, le nucléaire qui se généralise et s’impose, les rendements demandés qui explosent et entraînent l'utilisation intensive de la chimie, la surexploitation du monde animal, tout cela imposé par une mondialisation effrénée et une société de consommation intéressée uniquement par la quantité à petit prix. Joncour à réussi à intégrer tout cela dans un récit très juste, à aborder pratiquement toutes ces problématiques tout en nous racontant avec beaucoup d’empathie, une histoire très belle et touchante. Étant moi-même professionnellement très lié à ce monde agricole, je ne peux que confirmer la justesse de cette peinture, très ancrée dans la réalité. Le pire étant que, malgré les catastrophes qui se succèdent, la sécheresse de 76, Tchernobyl, la tempête de 99, ce récit reste fortement empreint de nostalgie, les choses s’étant encore fortement dégradées sur bien des points depuis. Joncour a vu juste, ce sont ces années-là qui représentent le basculement irréversible du monde agricole vers un système basé sur les rendements, donc de la chimie, au détriment de la nature et c’est bien de la fin d’un monde dont on nous parle dans ce livre. Joncour remet néanmoins l’humain au milieu de tout ça, à travers une plongée dans l’histoire politique de ces années, et sans porter particulièrement de jugement, il nous décrit comment tous ces bouleversements se sont imposés peu à peu aux protagonistes, à ceux qui travaillent cette terre. Il nous explique que la responsabilité de l’agriculteur dans ce désastre écologique est bien limitée, il ne fait que s’adapter en essayant de faire face, tant bien que mal, aux contraintes économiques et sanitaires toujours plus fortes qu’on lui impose, et qui n’ont pour but que d’aller vers encore plus de mondialisation. On finit donc cette lecture un peu désabusé, l’homme ne pèse pas grand-chose face à cette machine qui écrase tout, mais la fin qui se passe en 1999 rappelle que la nature, elle, n’a pas forcément dit son dernier mot. Cela est raconté avec une écriture très simple, douce et fluide comme peut être la vie à la campagne, parfaitement adaptée à cette ambiance bucolique et à la simplicité de ces gens. C’est pour conclure, malgré un contenu un peu déprimant d’un point de vue écologique, une très belle fresque rurale et sociale, avec des personnages très attachants. Ce livre fut pour moi un très beau moment de lecture.
____________________________________
"À la télé comme partout, chacun y allait de ses superstitions, et la seule réponse concrète qui s'offrait face à cette canicule, c'étaient les montagnes de ventilateurs Calor à l'entrée du Mammouth, avec en prime le Tang et les glaces Kim Pouss, signe que ce monde était tout de même porteur d'espoir."