Délicat projet que de réaliser, en moins de 300 pages, une autobiographie sur un artiste aux 40 ans de carrière foisonnante. Et cela se sent.


Christophe Deniau a effectué un travail de recherche gargantuesque. Il suffit de jeter un œil aux sources et travaux secondaires (interview, livres, albums, collaborations, films..) listés sur une vingtaine de pages pour s'en rendre compte. Les curieux ainsi que les fans de l'artiste australien trouveront ici une excellente référence recensant toutes les contributions de Nick Cave. Mais cette table des matières trahit l’ampleur - l'impossibilité? - de la tâche à laquelle l'auteur de L'intranquille s'est donné. Il en ressort une biographie on ne peut plus classique, suivant la chronologie de Nick Cave, des Boys Next Doors aux Bad Seeds pour donner les grands axes. La lecture est très linéaire, parfois ennuyante. Cette monotonie cloisonne le song-writter au gré de chapitres délimités par les villes sillonnées ou par les sorties de ses galettes. Que cela sied mal à la légende! Les quelques anecdotes distillées ainsi que certaines longues digressions font piétiner le récit d'une trajectoire si inédite, dont on a parfois l'impression qu'elle se cantonne à un vaudeville dans un comique de répétition où Rowland S. Howard, Tracy Pew, et autre Bargeld (dont ils ont tous été tour à tour, selon l'auteur, "l'âme" du groupe) sortent et reviennent dans la ligne de mire des TBS... Pourquoi évoquer tous ces va-et-vient pour la simple mention, qui plus est quand celle-ci devient ultra redondante ? N'y avait-il pas un travail à faire en amont des faits avérés ? Nick Cave n'est il pas, par excellence, celui qui fuit le réel pour ériger des fictions monumentales ? Dommage que son œuvre musicale ne soit évoquée presque que par des vérités générales et se cantonne à un traitement en surface. Lorsqu'on s'attarde à l'écriture, on remarque également que plusieurs phrases sont isolées dans le texte et ne s'intègrent que très mal à ce qui précède : il ne serait pas étonnant qu'elles soient symptomatiques d'une obligation de l'auteur à couper dans son texte, pour tenir son cahier des charges.


À cela s'ajoute la difficulté de dénouer le vrai du faux : Nick Cave cultive, tout comme il le fait dans son univers musical peuplé de créatures et de personnages dont les caractéristiques sont exacerbés à l'extrême, un mythe. Posture de vampire, du poète, du rockeur... Dans le film 20'000 Days on Eart (2014) Iain Forsyth et Jane Pollardll en ont pleine conscience et poussent le crooner à se regarder lui-même, en le mettant en scène en parfait accord avec l'autodérision qui lui est propre, nourrissant et questionnant cet ethos qu'il s'est construit au fil des années. Pour coller au projet autobiographique, Deniau aurait pu, dans sa recherche de faits et de vérités, tenter de déconstruire cette figure. Mais au lieu de le faire, il s'y attache, l'épouse et se substitue à elle. En effet, à plusieurs reprise l'auteur use du psycho-récit pour décrire le processus de création ou les états d'âmes de l'interprète de "From Her to Eternity". Cette technique narrative permet à l'auteur de s'immiscer dans la conscience du personnage, tout en en assumant la retranscription. Télépathe ? Fantasme ? Seul Deniau pourrait y répondre...


Nick Cave, l'intranquille aurait gagné à resserrer son sujet sur une période ou même (soyons fou!) un seul album de la star, tant il y a moyen de puiser dans ses créations, d'en faire sortir la substantifique moelle. Les deux chapitres consacrés aux bandes originales sont d'un grand intérêt et auraient mérité un développement approfondi. Tout comme la partie consacrée aux deux derniers albums Push the Sky Away (2013) et Skeleton Tree (2016). Les contraintes d'éditeurs, tout comme le travail de répertorisation ne suffisent pas à gommer une première autobiographie française, au goût bien fade.

Pangloss91
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le 27 août 2018

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