To smoke or not to smoke ?
On voit déjà que la préface de Will Self crée déjà une réflexion érudite, et ça, c’est de bon augure. Comparer Allen Carr (les vrais fumeurs savent de qui je parle) avec Schopenhauer, c’est quand...
le 16 nov. 2021
On voit déjà que la préface de Will Self crée déjà une réflexion érudite, et ça, c’est de bon augure. Comparer Allen Carr (les vrais fumeurs savent de qui je parle) avec Schopenhauer, c’est quand même amusant. Mise en bouche : « [l’auteur] ne craint pas d’extraire des eaux de Lethé la tête de cheval de sa dépendance, ni de disséquer les anguilles qui frétillent dans sa gueule ». Et c’est vrai, il a un côté expérimentateur scientifique, notre Gregor. Il aime bien éventrer ses cigarettes pour voir ce qu’elles contiennent (symbole, donc, de la dissection de l’addiction). Il aime se souvenir de chaque détail marquant des cigarettes passées, comme si les souvenirs sortaient de la fumée de cette cigarette qu’il ne fume plus.
Le problème, c’est qu’au départ, on se perd d’anecdote en anecdote (et pas forcément très intéressantes). Je ne connais pas Gregor Hens, je ne sais pas si c’est un auteur connu en Allemagne (est-ce que connaitre le Nouvel an des sept ans d’Amélie Nothomb, de Beigbeder ou de Modiano me passionnerait, cela dit ?). Et donc, je vois bien qu’il y a un rapport avec la nicotine à chaque fois, mais ce n’est pas toujours évident de suivre les balles de ping-pong de sa pensée. Et pourtant, au fil des pages, je commence à m’y attacher. Un peu.
« Un livre à la fois sombre, délicat et drôle » dit the New Yorker. J’ai envie d’aimer ce livre : quand je lis les critiques négatives, elles fustigent que l’auteur glorifie trop la clope. Eh oui, on pense que ce sera en quelque sorte un manuel contre le tabagisme, et c’est plutôt le constat d’un homme sur sa dépendance. De toute façon, on ne juge pas un roman sur sa moralité (et par extension, sur son contenu, mais bien sur ce qui nous amène à ce contenu, à la manière dont il est tissé). Donc si ce livre ne parle de rien, ce n’est pas pour ça que c’est un mauvais livre (et s’il parle bien du rien, alors… Equation difficile). Justement, si les critiques ont trouvé que pour un livre traitant de l’addiction, la cigarette est trop gentiment traitée, s’ils ont ressenti un malaise par rapport à cela… C’est que quelque chose est réussi (car les fumeurs continuent pour de multiples raisons, raisons finement expliquées dans cet essai). Il faut faire preuve d’assez de franchise vis-à-vis de sa propre consommation pour patauger dans ce qui ressemble à de la nostalgie. Et c’est vraiment étrange, (et vous allez penser que pour quelqu’un qui s’ennuie un peu pendant sa lecture, je survends le schmiliblick), mais je retrouve des accents proustiens dans ce texte. Il explique des mécanismes comportementaux (et cognitifs), en les déroulant, (comme les pampilles japonaises qui sortent de la tasse de thé à Combray). Cette cigarette est la madeleine. Tous les petits tics de fumeurs sont des rappels de ses souvenirs, comme le goût du biscuit trempé par la grand-mère dans Du côté de chez Swann. Le grésillement sur une plaque qu’on utilise pour allumer son mégot, la première cigarette, la dernière cigarette, ce sont pleins de petites ancres du réel (et le but du livre, en les étalant, n’est-il pas le même que Proust ? Ecrire pour redonner vie ?). La manière dont la neuroscience a pu prouver les impressions de Proust sur le fonctionnement de la mémoire (ici, l’addiction), la manière de passer du coq à l’âne avec élégance, l’intelligence et l’esprit qui suintent…Je pense que c’est un livre qu’on ne peut pas critiquer, qu’on ne se sait pas trop comment appréhender, qu’on parfois envie d’abandonner mais qui arrive quand même à nous captiver. Ce qui est pas mal.
Créée
le 16 nov. 2021
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