Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=5nnqCgH1W5M
C’est un livre qui me fait comprendre pourquoi certains se plaignent que le roman est mort. Ou que l’autofiction, c’est juste une séance sur le divan, que c’est antinomique avec la littérature. Parce qu’encore à la moitié, j’ai rien souligné, rien relevé, c’est encore ce style constatatif, qui ne prend le temps de rien, juste de revenir vaguement sur son passé, de brosser un tranche de vie pour tenter de comprendre un drame personnel. Et c’est pas un mauvais projet, je vais encore revenir sur Knausgaard, quand il veut comprendre ou peut-être s’éloigner de son propre drame personnel, ça prend 6 tomes, et surtout, il prend le temps de se peindre lui et ses proches comme des personnages. Il y a donc un plaisir pour le lecteur qu’ici je ne retrouve pas. Je prends aucun plaisir, Brigitte Giraud nous parle, c’est tout.
Et pas de manière très recherchée, ou même très orale. Ça me donne juste envie de le refermer le livre, à chaque fois que je l’ouvrais, je me disais, mais qui ça peut intéresser ? Formellement, ça coule, sans doute trop, y a pas de défaut, je pense qu’il y a une certaine élégance, que personnellement, je trouve un peu ennuyeuse — la structure du roman peut-être est intéressante dans son aspect programmatique : en plusieurs parties, elle va essayer de revenir sur tout ce qui a conduit à la mort de son mari. Et c’est comme suivre la culpabilité et les ruminations d’une femme endeuillée, ce qui est pas inintéressant en soi, mais trop a posteriori, donc sans affects, comme si c’était une dernière étape vers la guérison ou la résilience ou que sais-je — et que c’est donc même pas vraiment engageant.
Si ça avait été juste après l’accident, le matériau aurait été plus vif, la glaise qui brûle les doigts et les yeux — au lieu de quoi j’ai l’impression d’assister à une séance de poterie bien sage (j’ai même l’impression d’entendre son thérapeute l’encourager à remettre les choses à leur juste place). A partir de la moitié, cela devient plus intéressant — on sait que l’humain essaie de trouver du sens là où il n’y a pas vraiment, d’expliquer l’inexplicable. Et elle est touchante à essayer de relier les dates, la marque de la moto, l’accident de Stephen King, toutes ces choses qui n’ont pas de lien entre elles, comme si la mort de Claude allait trouver une explication, un but plus grand que l’absurde de la vie.
La description qu’elle fait de lui est tendre, sans tomber non plus dans la mièvrerie. On sent le regard juste et observateur de l’autrice, et même le petit reproche en surimpression, cette question à laquelle elle n’arrive pas à répondre : Qu’est-ce qui lui a pris en cette journée de juin ? Qu’avait-il à prouver ou à se prouver en enfourchant cette moto ? Parce qu’il en avait déjà une, Claude : la suzuki un peu cool, à la papa, contre la honda qui vrombit de virilité, dangereuse. Et si on voulait faire une analyse féministe, on pourrait presque dire que la masculinité peut tuer ; dans le sens où les hommes meurent plus fréquemment que les femmes à cause de comportements dangereux, liés à la vitesse, à la force, à une prétendue image de l’homme viril. C’est possiblement de la peur de vieillir aussi qu’il s’agit, de la fameuse crise de la quarantaine, après tout, elle cite souvent la phrase de Léonard Cohen il me semble – Live fast, die young (Vivre vite, mourir jeune). Et le tragique, c’est qu’on sent que juste une mauvaise décision (parce que finalement, Giraud tire sur tous les fils qui ont déterminés l’accident, mais on peut se dire que les Moires ont juste poussé Claude parce qu’il en était ainsi) ; peut tout détruire.
« Ce qui repose éternellement la question de la mort isolée et fortuite, qu’on nomme accidentelle, rangée à la rubrique des faits divers, face à celles, collectives et plus respectables, qui appartiennent aux grands mouvements historiques. Glisser sur une peau de banane n’a pas le même sens que mourir sous les bombes ou les assauts d’une dictature. C’est la raison pour laquelle je cherche […] des motifs cachés, plus ou moins tordus ou fantasmés, psychanalytiques, mais pas moins sociologiques ou politiques. Il n’y a pas de raison.
C’est sur cette note qu’on reste, un peu triste pour elle, un peu démuni. Et le lendemain, on passe à autre chose.