No Silence
No Silence

livre de Kyle Gann (2010)

Pour situer le truc, et quitte à susciter l’incrédulité, précisons qu’en 1952 le pianiste David Tudor a interprété un morceau de John Cage, intitulé 4′33″, sans émettre le moindre son. (Dire que le morceau est constitué de 4 minutes 33 secondes de silence n’est pas tout à fait exact, mais ce n’est pas le propos ici. De même, on pourrait rappeler – comme Kyle Gann dans son livre – qu’Alphonse Allais avait composé dès 1897 un morceau entièrement muet.)
Quitte à accentuer cette incrédulité, sachez qu’un certain nombre d’auditeurs éprouvent du plaisir à écouter ce morceau, et que des critiques musicaux et des musicologues ont écrit des articles et des ouvrages à son propos.
Maintenant quelques questions, pour relativiser : sachant que Cage lui-même « l’a souvent caractérisée [sa pièce] comme un acte d’écoute » (p. 149), vous préférez écouter 4′33″ ou Metal Machine Music en entier ? 4′33″ ou « Le Petit Bonhomme en mousse » ? 4′33″ ou dix secondes du « Papa pingouin » ? Voilà, vous voyez où je voulais en venir.


Kyle Gann, donc, fait manifestement partie des gens qui connaissent et apprécient assez 4′33″ pour écrire cent cinquante pages dessus, auxquelles s’ajoutent une bibliographie et une discographie… Et s’il s’agit à ses yeux d’« une pièce qui […] appartient depuis longtemps à ce qu’il est normal d’entendre en concert », il s’efforce de « garder présent à l’esprit le fait que, contrairement à [lui], tous les amateurs de musique n’ont pas nécessairement 4′33″ dans la peau » (p. 10).
S’il n’écrit donc pas en groupie, il n’écrit pas non plus en musicologue – qu’est-ce qu’un musicologue peut dire quand il n’y a ni notes, ni timbre, ni durée ? Il prend donc le parti de faire le tour des différentes analyses dont 4′33″ est susceptible : « En quel sens est-ce une composition ? Est-ce un canular ? Une plaisanterie ? Un morceau Dada ? Une pièce de théâtre ? Une expérience de pensée ? Une sorte d’apothéose de la musique du XXe siècle ? Un exemple d’une pratique zen ? Une tentative pour changer le comportement humain ? » (p. 21).
Ce tour d’horizon fournit à l’auteur l’occasion d’une étude très détaillée – et qui s’accommode d’un certain humour – de la genèse de l’œuvre, car si le morceau n’est pas une blague, et si « Cage – qui peut en être surpris ? – écrivit 4′33″ très rapidement » (p. 136), sa création se place dans un contexte social et un parcours individuel qui n’y sont pas indifférents, au point que pour l’auteur, « la genèse de 4′33″ semble surdéterminée » (p. 103).
Ce tour d’horizon est aussi l’occasion de remarques peut-être discutables mais à coup sûr intéressantes, comme le parallèle avec les haïkus (p. 117-118), l’idée que « la division de la pièce en trois mouvements est une caractéristique curieusement “classicisante”, qui suggère immanquablement une sonate » (p. 139) ou le fait que 4′33″ puisse se placer « comme un point de départ ou, peut-être, comme le point de départ final dans une série de processus spécifiquement américains : l’imitation de la nature comme moyen d’identifier une esthétique proprement américaine » (p. 28-29).


Que manque-t-il alors à No Silence pour être véritablement passionnant ? Peut-être une façon d’écrire un peu moins balourde – certains extraits qui figurent dans cette critique ne sont pas d’une légèreté insoutenable, et je ne pense pas qu’il faille mettre cela sur le compte de la traduction.
Et peut-être Kyle Gann a-t-il à moitié raison en affirmant que « décrire ce qu’est 4′33″ exige presque un traité philosophique » (p. 139) : pourquoi ce presque ?

Alcofribas
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le 12 févr. 2021

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