Que ça fait du bien, les premiers romans courageux. (Pas tout à fait premier roman, dans ce cas, puisque Carine Joaquim a déjà publié plusieurs livres en auto-édition sous le pseudonyme de Jo Rouxinol. Premier roman dans le circuit d'édition "classique, donc.)


Que ça fait du bien, les livres qui s'emparent d'un sujet connu, voire rebattu - la faillite d'un couple et, au-delà, d'une famille et de tous ceux qui les approchent, comme par contagion de malheur - pour le guider dans des eaux neuves, grâce à un style qui s'affirme d'emblée et une résolution à pousser la tragédie jusque dans ses ultimes retranchements.


Faire du bien.
Ça peut paraître bizarre, d'employer cette expression pour qualifier un roman qui va vous malmener, vous griffer le cœur et vous entraîner aux confins de la violence que les êtres peuvent infliger aux autres, y compris (surtout) à ceux qu'ils ont aimé ou aiment encore profondément, et s'infliger à eux-mêmes, sans retenue.


Ce qui fait du bien, c'est la vitalité d'une littérature éperdue de sincérité et de vérité. Une littérature qui, sans aucun doute, va toucher de très près nombre de lecteurs et de lectrices, par sa manière d'évoquer le déraillement de l'amour, la trahison intime, mais aussi le vertige des corps emportés par le désir et l'envie irrésistible de combler les creux du cœur par l'embrasement des peaux. Et quand je dis toucher, je pense fouiller au plus profond, là où ça fait mal.
Mais où la littérature peut...
Oui, faire du bien.


Pour obtenir cette curieuse alchimie, Carine Joaquim s'appuie sur des personnages qui auraient pu se figer comme des clichés.
Au contraire, elle les déplie, les déploie, leur donne une vraisemblance indispensable en collant à leurs pensées et à leur psyché.
Aucun manichéisme.
Stéphane n'est pas qu'un mari cherchant à racheter son infidélité. Elisabeth n'est pas qu'une victime jouant de sa faiblesse supposée pour obtenir ce qu'elle veut. Maëva n'est pas une adolescente bornée et égocentrique.
Ils sont ceci, pourtant. Mais pas seulement. Leurs personnalités, leurs aspirations, leurs contradictions, Carine Joaquim les scrute à la loupe pour les pousser à s'accomplir, en bien ou en mal - les deux à la fois, le plus souvent.
Humains, tout simplement.


Nos corps étrangers taille une déchirure, qui lentement cisaille le texte, jusqu'à la terrible explosion finale. Il capture des tempêtes intérieures qui renversent les cœurs et bouleversent les corps. Analyse, implacable, clinique, mais non dénuée de sentiments et de chair, bien au contraire, une famille qui se délite.


L'entrée en littérature de Carine Joaquim va laisser des traces. Un choc à ne pas manquer, à condition d'avoir les nerfs assez solides pour l'encaisser de plein fouet.

ElliottSyndrome
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le 6 janv. 2021

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