Nos yeux maudits par MarianneL
Combattants républicains pendant la guerre d’Espagne, on retrouve ici les protagonistes d’ «Un plat de sang andalou», réfugiés à Dublin. En cette année 1944, Ieuan, le gallois polyglotte, sa femme Solena, la belle espagnole, et Dartmann, l’ancien pilote déserteur de la Luftwaffe sont désœuvrés, malheureux de ne pas être engagés dans la lutte contre l’Allemagne nazie, même si c’est leur choix, guidé par l’inaction des démocraties européennes pendant la guerre d’Espagne.
Macphillemy, qui leur permit de fuir l’Espagne grâce à un bateau dérobé aux Anglais, est maintenant devenu délégué irlandais à la Croix Rouge. Il leur apprend qu’il a vu Marco, l’italien qui combattait avec eux face aux troupes franquistes, dans l’enfer du camp de Mauthausen. Le roman s’ouvre de fait sur les mots de Marco, déporté, en une forme d’hommage à Primo Levi.
«Aux grands maux, les grands remèdes.» Ne rien faire n’est plus une option. Ils conçoivent donc un plan fou pour libérer Marco.
Cette suite d’«Un plat de sang andalou», avec une narration extrêmement différente, nécessite néanmoins la lecture préalable du premier roman (ce qui est honnêtement, plus une joie qu’un problème), pour connaître l’épaisseur et le passé espagnol des personnages du groupe. David M. Thomas réussit à unir ici la rigueur historique des Wu-Ming, des personnages magnifiques portés par des valeurs d’engagement, d’amitié, et d’entraide qui rappellent ceux de Fréderic Fajardie, et un style et un sens du dialogue vivants, virevoltants, portés par la culture internationale de l’auteur.
«Depuis l’âge de seize ans, Solena, je me bats contre le nazisme. J’ai quarante-deux ans, et je suis internationaliste, mais ça ne veut pas dire que je n’aime pas mon pays. Tout ca pour découvrir maintenant qu’il est devenu synonyme du nadir absolu de l’humanité, un pays et un peuple à tout jamais maudits. On dira dorénavant qu’aucun Allemand ne naît innocent. Le Mal qu’on voit ici est inexpiable. L’Allemagne sera à tout jamais la patrie de Cain, tu te rends compte ? C’est inexpiable.
Pour tout te dire Dartmann, répond Solena, non, je ne me rends pas compte. Je ne suis pas allemande. Mais là tu pleures, Dartmann, et c’est la terre entière qui pleure avec toi, et pour ma part, je raconterai jusqu'à mon dernier souffle les Allemands qui sont venus en Espagne, qui ont laissé leur peau à la Casa de Campo, sur tous les champs de bataille espagnols. Je dirai à qui voudra m’écouter que j’ai eu la chance de rencontrer un Allemand droit et juste et noble, qui était venu dans mon pays pour nous aider, qu’il y en avait des milliers comme lui en Espagne. Ce n’est pas tous les Allemands qui porteront la marque de Caïn. Voilà. C’est tout ce que j’ai à dire.»
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