Gilles Perrault l'écrit lui-même dans sa post-face rédigée en 1992, deux ans après la publication de "Notre ami le roi" : "Ce livre n'est certes pas un pamphlet ni un essai mais un documentaire qui ne vaut que par l'exactitude des faits rapportés."
Lu suite au récent décès de son auteur alors que, honte à moi, je me l'étais procuré il y a plus de 30 ans, ce récit est édifiant quant à la cruauté sans pareille dont peut être capable un être humain.
A l'occasion de son 60° anniversaire en 1989, Hassan II n'écrivait-il pourtant pas cette autocélébration délivrée au monde : "Je suis heureux parce que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour répandre le bonheur autour de moi, ne me trompant aux dépens de personne, ne faisant de mal à aucun." ? Est-il nécessaire de préciser qu'il considérait que c'était Dieu qui l'avait placé sur son trône pour sauver la monarchie en rappelant que pour cette sauvegarde " le rite malékite prévoit qu'il ne faut pas hésiter, le cas échéant, à faire périr le tiers de la population habité par des idées néfastes, pour préserver les deux tiers de la population saine."
Fort de ce précepte, Hassan II a férocement réprimé les nombreuses tentatives de révolte contre la misère qui ont émaillé son règne, n'hésitant pas à faire flamber au napalm des villages entiers, à faire pratiquer les pires tortures sur ses opposants puis à les faire exécuter sommairement, à en faire disparaître massivement d'autres tout en s'appropriant les principales richesses du pays et en multipliant les fraudes lors d'élections censées donner une image démocratique du régime. le seul chapitre intitulé "Les morts vivants de Tazmamart", du nom du pénitencier situé dans le Haut-Atlas, suffit à rendre compte du sadisme de ce roi qui entretenait de bonnes relations avec les gouvernants français, de droite ou de gauche, indifférents à la souffrance du peuple marocain et à la terrible répression s'abattant sur le moindre opposant.
On ne sort pas indemne de ce livre qui a connu un tel retentissement qu'il a été suivi, à peine quelques semaines après sa parution, de nombreuses libérations de prisonniers souvent incarcérés depuis de longues années, Hassan II n'engageant même aucune poursuite contre sa publication, craignant qu'un procès ne tourne à son désavantage tant étaient nombreux les témoignages irréfutables sur les horreurs dont il s'était rendu coupable.
Même plus de vingt ans après la mort de "notre ami le roi", il ne me semble pas superflu de lire ou de relire un livre qui n'a rien perdu de sa force, ne serait-ce que pour stigmatiser les relations on ne peut plus chaleureuses qu'entretiennent de nos jours avec le fils Mohamed VI, bien moins libéral qu'on n'aurait cru, nombre de bien pensants porteurs de grandes idées humanistes, à l'image d'un Djamel Debbouze dont la flagornerie à l'égard de "sa majesté" n'est plus à démontrer.