Après Mystérious Skin – porté au cinéma par Gregg Araki – Scott Heim retourne une fois de plus dans le Kansas sinistre de son enfance. Plus autobiographique, Nous disparaissons soulève de nouvelles parts d’ombre. Le passé est toujours pesant, toujours difficile à avouer, marqué par la trace floue de l’oubli.
Scott, auteur de livres pour enfance à New-York doit retourner dans sa ville natale pour accompagner une mère, Donna, en phase terminale de cancer, obsédée par les enfants kidnappés, souvent retrouvés morts sur le bord d’une route. La voici qui l’entraîne dans un jeu de dupe étrange, où il s’agit d’obtenir les confidences des victimes en prétendant écrire un livre. Les souvenirs d’enfance, d’adolescence ressurgissent, nostalgiques pour le fils, troublants pour sa mère. Aurait-elle « disparue » un jour alors qu’elle n’était qu’une fillette de six ans ? Pourquoi ne l’avoir jamais dit avant ? Que s’est-il vraiment passé ? Le roman s’articule autour de ces questions inquiétantes, tandis que Donna entremêle les histoires et s’enfonce dans un délire que seule la maladie semble expliquer. Arraché à la routine de la grande ville, Scott lutte contre un autre démon, celui de la drogue, son besoin de meth qui l’oppresse en permanence et la souffrance de ne plus avoir de dealer au coin de sa rue. Il est maigre, convulsé de spasmes, terrifiant. Le plus désespéré des deux n’est peut-être pas celle qu’il pense aider.
La réalité du fils et de sa mère se perd dans le fantasme, les hallucinations, la douleur d’une mort à venir, la dépendance et la crise d’identité. Des visages d’enfants perdus défilent, accrochés dans la cuisine, dans la voiture, dans des dossiers remplis de coupures de journaux. Ils se mêlent, se confondent, les filles ressemblent à Donna, les garçons à son fils.
On retrouve les thèmes de Mystérious Skin : l’idée d’une enfance volée, les souvenirs effacés, remplacés, le parc de jeux où les jeunes garçons attendent du sexe sur des balançoires rouillées. En hommage à sa mère récemment décédée, Scott Heim écrit une sorte d’auto-fiction très intimiste. Sa plume pénétrante essaye de retenir le temps, de repousser toujours plus loin la mort d’une mère adorée. Car, malgré tout ce sinistre, amour et complicité triomphent, non sans quelques larmes.
Lire Nous disparaissons est une sorte d’épreuve à la fois belle et pénible. Avec un style bien à lui, l’auteur sait nous piéger dans un monde froid et cotonneux, nous tirer vers des rapports à l’adolescence assez compliqués, avec, toujours ce sentiment de ne pas être à sa place, de ne pas entrer dans la vie comme on le devrait. Il n’oublie pas, par ailleurs, quelques mentions touchantes à ceux qui s’habillent de noir, se maquillent et aiment « la musique et les soirées d’automne ». Une poésie indolente, toujours piquée d’angoisse, nous berce, nous étouffe, convoque, au final, une foule d’impressions contradictoires en quelques pages. Le roman ne se dévore pas, on en sort avec autant de bonheur qu’on y entre. On appréciera la retenue très néo-romantique d’un écrivain capable d’aborder les sujets les plus sombres sans jamais tomber dans la tentation facile et vendeuse du trash.
Sans doute plus facile d’accès que Mysterious Skin, il donne une excellente « suite » à ce titre et pose Scott Heim devant le fantôme de William S. Burroughs, dans une veine plus sensible, bien sûr.