Nous sommes cruels (Peretti)
Avec Nous sommes cruels, Camille de Peretti nous embarque dans l'internat d'une classe préparatoire. Ce genre d'internat où les fils à papa (et les filles aussi) un peu désoeuvrés sont transformés en bêtes à concours pendant qu'on leur rabâche stupidement qu'ils sont appelés à devenir l'élite de la nation. Le décor est planté et, effectivement, dès les premières lignes, on a envie de baffer l'héroïne. Camille (quel hasard) est une jeune fille intelligente mais déconnectée et suffisante, et toute égocentrique qu'elle est, elle s'ennuie. Aussi, elle décide donc de se lancer une sorte de défi, à elle et Julien, un ado du lycée sur lequel elle a jeté son dévolu : ils seront les nouveaux Merteuil et Valmont, les deux libertins à la plume acérée des Liaisons dangereuses. Comme eux, ils vont s'envoyer des lettres. Comme eux, ils vont se vouvoyer. Comme eux, ils vont trouver jouer avec leurs proies. Et comme eux, ils vont être dépassés par leur petit jeu. Ils se croyaient cruels, et ils vont apprendre qu'ils ne sont que deux rejetons impuissants que la vie - ou la mort - peut écraser si facilement.
Si le livre de Peretti s'inspire des Liaisons dangereuses, on finit par se dire en le lisant qu'il est plus proche de Sa Majesté des mouches : les personnes qui se croient cruelles ne sont au fond que des enfants perdus et apeurés trop fiers pour le reconnaître. C'est le portrait de l'héroïne tout craché, qui incarne d'ailleurs le stéréotype de la petite pétasse bourgeoise mais vulgaire né dans les années 1990. Le genre qu'on adore détester. Celle à qui on voudrait faire bouffer ses perles. Camille n'a rien hérité de la Marquise de Merteuil : elle doit tout à Hell, l'héroïne du roman éponyme de Lolita Pille. Et côté écriture, Peretti s'éloigne assez de Laclos : elle met de côté certains thèmes, en détourne ou contourne d'autres, mais finit par punir l'orgueil de ses personnages. Cyniques et égocentriques, obnubilés par leur jeu, ils ne se rendent même pas compte que de mauvais tragédiens, ils deviennent de pathétiques drama queens enfermées dans leurs fantasmes. Et si la fin des Liaisons dangereuses avait tout d'une horrible explosion, d'une injustice divine, d'un acte de terrorisme littéraire, celle de Nous sommes cruels est un silence apaisant : le lecteur, comme la vie, dit "ta gueule" à Camille et constate avec soulagement que la bécasse s'exécute.
Nous sommes cruels, c'est au final l'histoire d'adolescents vains, vides, nullement habités par les passions des personnages de Laclos, mais plutôt rongés par un ennui qui aurait pu les sauver s'il avait été baudelairien. Même pas. Ils se font juste chier comme les jeunes qui ne manquent de rien et passent leur temps à se caresser le nombril. L'intelligence de Camille de Peretti a été de ne pas se mesurer au modèle, mais plutôt de flageller ses personnages. La véritable cruauté, c'est celle de l'auteure, qui se moque de sa Camille et de son Julien, deux jeunes agneaux qui se rêvaient loups, deux jeunes idiots qu'elle sacrifie avec délice.