Les Nouveaux Contes cruels sont moins bons que les Contes cruels. Il y en a moins, mais ça ne constitue pas le problème. D’ailleurs, tiens, comme il n’y en a que huit, je peux prendre le temps des présentations. (Le lecteur impatient de cette critique n’a qu’à passer les quatre paragraphes qui suivent.)
Dans « Sylvabel », on retrouve un de ces couples hors du commun que le lecteur coutumier de Villiers aura appris à connaître. Disons que la femme y est d’abord plus féroce, qu’une pré-chute place l’homme en tête, et que la véritable chute, qui réside dans l’avant-dernière phrase, remet les pendules à l’heure. « La Torture par l’espérance » place à l’époque de l’Inquisition une intrigue à la manière d’Edgar Poe ; la perspective d’évasion qu’un tortionnaire laisse entrevoir à un Juif y est présentée comme un raffinement de cruauté. Ces contes sont certainement les deux diamants du recueil.
« L’Enjeu » ressemble à du Barbey d’Aurevilly. Un prêtre – version noire – y parie « le secret de l’Église ». Autant la révélation dudit secret se révèle aussi décevante pour le lecteur que pour les autres personnages, autant la description des créatures attablées autour du jeu vaut qu’on s’y arrête – j’y reviendrai. « Les Amies de pension » reprend la leçon des « Demoiselles de Bienfilâtre » : dans cette époque affreuse, dépourvue de Dieu, où l’on vénère l’économie et le progrès, tout se monnaie, même l’amour. (C’est aussi le point de départ de « Virginie et Paul », mais l’anti-athéisme de Villiers est plus virulent dans son dernier recueil.)
Un niveau en dessous, « L’Amour du naturel », où un Daphnis de pacotille et une Chloé de pacotille accueillent le Président de pacotille de la République de pacotille, appartient à la même veine ; là encore, la satire de la modernité s’y fait si appuyée, si démonstrative qu’elle en devient frustrante pour le lecteur. De même, dans « Le Chant du coq », il s’agit manifestement moins de raconter un épisode de la Passion que de s’en prendre à Renan. Le récit de « Sœur Natalia », qui reprend une légende hagiographique, serait probablement le chef-d’œuvre narratif d’un écrivain catholique de troisième rang, mais de la part d’un écrivain capable de « L’Inconnue » ou du « Tueur de cygnes », il constitue le fond du panier.
Enfin, « L’Incomprise » est probablement la plus faible nouvelle du lot : reprenant le thème de « Sylvabel » sans manifester la même habileté narrative, elle est du reste gâtée par un certain manque de nuances – ce manque de nuances qui, chez Villiers, débouche régulièrement sur de la misogynie.


Cruels, même si ces Nouveaux Contes le sont moins que les premiers, l’esprit reste le même. Mais, si je n’ai rien contre les redites en tant que telles, les redites en moins bien me gênent. Et dans certains récits, des passages entiers sentent la démonstration : le très catholique Villiers n’aime pas son époque matérialiste, et il veut que ça se sache.
On peut aussi, en 2018, ne pas aimer son époque, dans laquelle « le premier des bienfaits dont nous soyons, positivement, redevables à la Science, est d’avoir placé les choses simples, essentielles et “naturelles” de la vie hors de la portée des Pauvres » (c’est la conclusion de « L’Amour du naturel », p. 395). Là où Villiers écrit « la Science », il suffirait aujourd’hui de compléter. L’économie, domestique de la science en 1888, est peut-être devenue sa maîtresse. En visant l’une plutôt que l’autre, Villiers s’attaque probablement au rationalisme fou qu’elles ont en partage. Mais je reste persuadé qu’il se trompe d’ennemi, ce qui est d’autant plus regrettable que la dimension polémique des Nouveaux Contes cruels tend à oblitérer le reste.
Il y a pourtant de remarquables passages dans ce recueil – qui ne renouvellent certes ni la littérature ni la psychologie, mais présentent bien Villiers comme le grand styliste qu’il peut être. C’est ce fugitif qui, « dans l’horrible désarroi de ses sensations, […] eut le cerveau traversé par cette idée : “Serais-je déjà mort, qu’on ne me voit pas ?” » (p. 364, « La Torture par l’espérance »). C’est, au détour d’un dialogue, un personnage qui déclare à un autre : « Surtout, soyez aussi simple… que mon conseil, – en le suivant » (dans « Sylvabel », p. 369).
C’est encore cette description crépusculaire d’un groupe de joueurs de cartes : « Et de très vagues mais poignantes nuances passèrent sur les visages, dénonçant, d’une imperceptible estompe, les atteintes futures que l’âge réservait à chacun d’eux. Bien que l’on ne crût à rien, ici, qu’à des plaisirs fantômes, on se sentit, tout à coup, sonner si creux en cette existence, que le coup d’aile de la la vieille Tristesse-du-Monde effleura, malgré eux, à l’improviste, ces faux amusés : en eux, c’était le vide, l’inespérance : – on oubliait, on ne se souciait plus d’entendre… l’insolite secret… si, toutefois… » (p. 377, « L’Enjeu »).
Ces trois passages ont un point commun : ils n’ont rien d’engagé. Le propos y est individuel, ou social, ou universel. Et les personnages qu’ils concernent (sauf peut-être le deuxième), dans l’optique de l’auteur, ont beau être sans Dieu et en souffrir, l’auteur n’y insiste pas. Il n’assène pas ici de message.

Alcofribas
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le 11 janv. 2019

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