Comme de nombreux auteurs du XIXe siècle J-K. Huysmans est un véritable touche à tout. Tour à tour romancier, poète, critique d'art, critique littéraire, chroniqueur mais aussi nouvelliste. Cependant il n'en aura en tout et pour tout livré que quatre ! Nombre surprenant si l'on songe à la manière de l'auteur. Ses romans manquent en effet singulièrement d'unité narrative et tiennent d'avantage de la mosaïque aux tesselles de couleurs disparates que du grand cycle de fresques : les rêves hallucinés d'En Rade, les chapitres thématiques d'A Rebours ou de Là-Bas, ses poèmes en proses, ses critiques. La nouvelle, forme littéraire extrêmement en vogue à cette époque, semblait dès lors l'outil parfait pour lui à l'instar de Maupassant qui utilisait les siennes comme laboratoire à thèmes et à ambiances (et comme source de revenus).
Ces quatre nouvelles sont dans l'ordre chronologique :
Sac au Dos :
Sa première nouvelle, publiée après un recueil de poèmes en prose et deux romans grâce au soutien de Zola dans le recueil-manifeste naturaliste "les Soirées de Médan" qui contient également le fameux Boule de Suif. Elle décrit la hasardeuse et rocambolesque déambulation d'une bidasse ballotée et malade durant la guerre franco-prussienne de 1870. Récit savoureux certes naturaliste dans sa forme par la description des troupes fatiguées, des camps insalubres et des hôpitaux bondés mais, marqué par son expérience personnelle, l'auteur expose une satire acerbe matinée d'un humour burlesque frisant parfois le scatologique.
A Vau-l'eau :
Si Sac au Dos est une odyssée boueuse, A Vau-l'eau est au contraire un "Ulysse des gargotes" selon les termes de Maupassant, un huis clos dans le VIe arrondissement, sorte d'A rebours du pauvre orienté non plus vers la littérature ou les arts supérieurs mais vers la nourriture et les prostituées. Folantin, jeune fonctionnaire esseulé, dénoyauté de ses désirs, tente d'égayer sa vie terne et morose avec la nourriture mais ressort toujours déçu et dégouté des bouges, boui-bouis miteux et autres restaurants minables qu'il ne cesse d'arpenter. Ce guide du Routard de l'infect et de l'ennui est une extension du "Petit poème en prose des viandes cuites au four" des Croquis Parisiens et au vu de l'aspect toujours dégoutant de la nourriture, ce thème doit pour Huysmans révéler des résonances bien personnelles... Huysmans est tout autant Folantin que Des Esseintes.
Un Dilemme :
Cette nouvelle, écrite juste après En Rade, est sûrement la moins connue et la moins enlevée puisqu'elle déploie un thème social dans la pure veine du naturalisme alors que Huysmans avait à cette période déjà fait sécession. C'est donc une étude de moeurs qui dévoile le cynisme et la méchanceté des protagonistes tout le long de l'échelle sociale. Du petit bourgeois provincial à la bonniche de la capitale, il n'a dans ce récit aucune complaisance pour ses personnages et le dilemme n'est qu'apparent.
La Retraite de monsieur Bougran :
Publié tardivement à titre posthume dans les années 1960, ce dernier récit est chargé d'humour en présentant un fonctionnaire rabougri qui, fraîchement à la retraite, ne peut que continuer à mimer son travail inepte. Cette lucidité salée basée sur la jeune carrière de Huysmans au Ministère de l'intérieur, non dénuée de tendresse pour le bureaucrate et assortie d'un goût pour l'absurde, rappellera certains auteurs russes tels que Dostoïevski mais surtout Gogol dans ses courtes nouvelles de Saint-Petersbourg.
Huysmans est un écrivain de la déliquescence. Foin de romantisme pourtant, tout chez lui part en loques et en lambeaux. Il n'est pas une femme qui ne soit ridée et plâtrée d'onguents, une tenture qui ne soit tâchée, un mur qui ne soit fissuré, une sauce qui ne soit figée, un paysage qui ne soit stérile. Paradoxe, car cette réalité crue se cache toujours sous un style syncopé, terriblement poétique et sublime.
Il jouit en effet d'un verbe fleuri et byzantin. A la manière d'un peintre flamand il brosse des natures mortes et des scènes de genre — en plus d'avoir beaucoup écrit sur eux, il était lui-même d'origine hollandaise — plaçant avec un soin constant l'éclairage, les couleurs et les matières de ses décors, s'attardant sur le reflet d'un verre de vin ou les nuances d'une texture. A ce titre sa palette lexicale et sa touche stylistique sont des plus riches et des plus nuancées.
S'il finit par récuser le Romantisme et le Parnasse de ses premières heures, abandonnant Flaubert et Gautier pour Mallarmé, on ne peut nier une inspiration tout au moins formelle pour ses premiers textes de ces deux courants dans son attrait sensuel pour le détail en soi qui dépasse l'aspect utilitaire du Naturalisme. A ce titre, le sonnet liminaire de son tout premier recueil évoquant «Un choix de bric-à-brac, vieux médaillons sculptés, émaux, pastels pâlis, eau-forte, estampe rousse » trahit bien par l'écho aux Émaux & Camées de Gautier cette ascendance primitive.
Huysmans est bien un auteur de la sensation visuelle qui donne sans cesse à voir. La simple description devient véritable morceau de bravoure, poème en prose, et le lecteur se fait spectateur. Pour reprendre l'expression affublée aux frères Lenain par Champfleury durant le XIXe siècle : un "peintre de la réalité".