Dans le peloton de tête de la liste des groupes les plus « surévalués » établi par une revue musicale américaine, apparaissait récemment le nom d’Oasis, auxquels on reprochait avant tout une arrogance (« avoir voulu être plus grands que les Beatles) disproportionnée par rapport à la qualité du groupe et de ses chansons. Rien de surprenant dans cette affirmation – choquante sans doute pour les innombrables fans anglais… et français des frères Gallagher -, en tout cas pour nous qui n’avons jamais compris l’engouement pour deux frères têtes-à-claques dont les plus hauts faits d’armes consistaient à dire des bêtises et à critiquer les autres groupes anglais. La lecture de la dernière publication de la bonne maison Playlist Society, "Oasis ou la Revanche des Ploucs" était donc une nécessité absolue pour nous, comme elle le serait également pour les journalistes US ayant établi ce fameux classement des groupes surévalués ! Car le défi, et il est de taille, relevé par Benjamin Durand et Nico Prat, est de trouver une explication au phénomène Oasis : pourquoi donc un tel succès – qui plus est pérenne, puisque les foules se pressent toujours pour applaudir les dernières « créations » de Liam Gallagher -, envers et contre toute logique ?


L’excellent travail effectué ici est de proposer trois hypothèses, d’ailleurs plus complémentaires qu’il n’y parait au premier abord : d’abord, celle – classique, presque « américaine » -, de la nécessité impérieuse pour Noel et Liam d’échapper à leur famille dysfonctionnelle, à leurs origines misérables, grâce à une réussite qui se devait avant tout d’être financière (l’ambition comme moteur ultime pour les désespérés) ; ensuite, celle de la situation politique d’une Angleterre post-thatchérienne dévastée, qui a créé le besoin pour la Classe Ouvrière, si importante dans le Nord du pays, de retrouver une certaine fierté, perdue du fait du chômage de masse résultant de la thatchérisation de l’économie… alors qu’en parallèle, l’Angleterre Rock répondait non sans nationalisme à la prépondérance culturelle américaine grâce à la Brit Pop ; enfin, celle de la symbolique forte du parcours du groupe conjuguant, de manière paradoxale, le geste de se détacher de ses origines pour mieux les célébrer. Ces trois volets – le psychologique, le politique, le symbolique – sont superbement expliqués par Benjamin Durand (historien de formation, et ça se sent ici…) et par Nico Prat, journaliste culturel rompu à l’analyse.


On pourra regretter – mais c’est visiblement un choix tenu par les auteurs pour échapper au sensationnalisme qui menace toujours quand on parle d’Oasis – que l’ouvrage ne cherche pas à mieux comprendre le processus d’autodestruction de la fratrie Gallagher, qui a mené à la mémorable explosion en public lors du Festival de Rock en Seine en 2009… Néanmoins, y compris dans l’analyse musicale des racines d’Oasis, "Oasis ou la Revanche des Ploucs" est l’un de ces rares livres sur le Rock qui suscite aussi bien l’enthousiasme (teinté de vague nostalgie peut-être quand Durand, qui a vécu près de 10 ans à Manchester, évoque la scène mancunienne de l’époque…) que la réflexion.


Ainsi, on chérira ainsi particulièrement cette opinion des auteurs – originale et stimulante – qui est que, dans le Rock britannique, le goût et le talent mélodique sont à rechercher du côté de la diaspora irlandaise (avec les Beatles et, donc, Oasis, comme illustration du phénomène) parce qu’ils correspondent à une volonté fédératrice, tandis que les influences Blues – venues des US – ont donné naissance à une musique plus « dure », avant tout individualiste (avec les Stones comme fer de lance…).


Bref, voici une lecture indispensable, que l’on soit fan ou non (comme nous) d’Oasis, pour mieux comprendre ce qui s’est passé dans les années 90 dans le Rock anglais.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique, et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/05/20/oasis-ou-la-revanche-des-ploucs-expliquer-linexplicable/

EricDebarnot
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le 20 mai 2021

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Eric BBYoda

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