L'auteur est bien connu pour son caractère rugueux, sauvage, volontiers bougon et rieur quand il n'est pas taiseux. Il appartient à cette génération de marins (Tabarly, Colas...) que l'on imagine voguer sur les mers tel le capitaine Haddock de Tintin, rivalisant de "Bachibouzouk!" "Moule à gaufres!" et "Tonnerre de Brest!" mais qui derrière un aspect irascible cache une vraie tendresse, propre à ceux qui ont les conventions en horreur.
Il y a dans ce livre un amour immodéré pour la mer, sa terre à lui, mais aussi pour les peuples, cultures, rencontres faites durant ces quarante années de voyages. Ces "voyages" que nous, terriens, ne feront jamais. Car il ne s'agit pas "d'aller" : Comme il le remarque très justement il y a une grande différence entre "voyager" et "être en déplacement" à l'étranger, "faire" la Guadeloupe ou les fjiords norvégiens. "Voyager c'est accepter de passer du temps et c'est aussi se refuser à vouloir tout embrasser (...) On "Fait" parce que ce monde vorace exige de tout consommer jusqu'à la dernière miette, de se goinfrer de souvenirs".
Il dit les choses telles qu'il les a vu, constaté, ressenti, sans mépris ni condescendance selon moi, mais plutôt avec pudeur et en épargnant au lecteur la nostalgie, dont se croient si souvent autorisés ceux qui ont "tout fait et tout vécu". Lui, garde une âme d'enfant, reste ébloui devant le turquoise de la mer australienne "comme si Yves Klein avait passé le détroit de Torres au rouleau" ou devant les femmes polynésiennes, capables de pêcher deux jours consécutifs sans bouger un cil.
L'ensemble est extrêmement bien écrit: Hormis quelques répétitions et des passages parfois rapides sur certains pays, la plume De Kersauson fonctionne merveilleusement et il parvient à nous amener au large avec lui grâce à des descriptions singulières, sans concessions, aussi abruptes que poétiques. Des descriptions finalement à l'image du tempérament de leur auteur :
L'océan indien ? "C'est un pays crépusculaire. L'indien est une auberge à punaises pour le marin. Une Messaline aux seins qui tombent. Cette mer est une vraie souillon (....) L'indien oblige le marin à des exercices de voltige sur une corde raide. C'est comme si on signait un pacte faustien: notre éternelle jeunesse contre un accommodement avec ses mœurs atroces. J'ai toujours les tampons de mon passage sur mon passeport. Sa marque est indélébile. En 40 ans, je lui ai donné toute la largeur de mon dos, qu'il a marqué au fer rouge".
Une belle découverte. J'essayerai d'en lire d'autres.