Au début, Jeanne Faivre d’Arcier était une jeune femme passionnée par The Mascarade et fascinée par l’univers d’Anne Rice. Ces belles références donnèrent une histoire sympathique, que l’on trouvera originale aujourd’hui mais qui, pour l’époque, reste encore trop proche du récit de fan. On appréciera le caractère fort de la vampire Carmilla, la capacité de l’auteur à imposer de véritables héroïnes, dont l’intelligence n’a rien d’artificiel. Au bout de la plume, se trouve une personne cultivée. Les références historiques sont claires, maîtrisées, les points scientifiques donnent l’illusion de la vraisemblance, le style est, quand à lui, irréprochable. Il manque cependant quelque chose, un rien d’aisance dans les phrases, souvent trop ampoulées, pour nous mettre tout à fait à l’aise.
A l’instar D’Entretien avec un vampire, Jeanne Faivre d’Arcier fait le choix d’une confidence. Avant le troisième acte, Carmilla livre son passé à un ami vampire. Malheureusement, le discours direct manque de naturel. Tout est beaucoup trop rigide. J’ai lu sans prendre une seule fois goût à l’écriture. Les péripéties étaient là. La rythmique, les accroches, beaucoup moins. L’ensemble manquait de vie… Certes, quoi de plus normal pour un vampire ? (lol) Au niveau de l’intrigue, rien de très exceptionnel non plus. La dame vampire laisse défiler son histoire de manière assez linéaire. Nous n’explorons pas vraiment la profondeur des caractères de chaque protagoniste.
Ayant lu ce premier volume en novembre, mes souvenirs sont assez confus, signe que les aventures de Carmilla ne m’ont décidément pas beaucoup marquées. Si la suite n’avait pas annoncé un scénario en Inde, je ne pense pas que je serais allée plus loin.
J’ai laissé une seconde chance à Madame Faivre d’Arcier. Je ne l’ai pas regretté.
La déesse écarlate
L’avantage de La déesse écarlate est qu’il se lit très bien indépendamment de Rouge Flamenco. S’il faut n’en garder qu’un seul, préférez celui-ci, mieux écrit et, surtout, plus original. Pour ce nouvel opus, Jeanne Faivre d’Arcier opte pour une structure un peu plus fluide et ambitieuse. Exit la première personne, le point de vue unique, tout est à la troisième personne, et, bien que Jonathan reste le personnage principal, d’autres consciences sont de la partie.
Enfant maudit de l’Inde, Jonathan est à peine né que, déjà, les vampires cherchent à le tuer. Ses parents l’abandonnent à un journaliste français et sa femme indienne en donnant une consigne très claire : l’élever en France, ne jamais essayer de retrouver ses origines. Mais Jonathan est un bambin des plus curieux, hanté par les visions d’une belle dame rouge, capable de s’exprimer dans les langues primitives d’Asie avant même de savoir parler… Lorsque sa meilleure amie est kidnappée par une mystérieuse secte appelée L’Hibiscus rouge, le jeune homme renonce à sa vie tranquille et sans histoire d’enseignant pour explorer l’Inde à la recherche des criminels ou, peut-être, de Mâra, la déesse écarlate de ses nuits les plus fiévreuses…
Le voile sera levé peu à peu sur l’étrange passé qui unit la mère des vampires au jeune homme, allant jusqu’à nous révéler des origines de vampiriques qui empruntent au panthéon hindou. Je brûle de vous en dire plus, mais ce serait vous gâcher d’agréables découvertes. L’auteur joue avec les croyances en la réincarnation, perturbe totalement le mythe en plaçant les buveurs de sang dans un folklore où l’idée de vie éternelle elle-même n’a pas la même puissance : toutes les âmes finissent par renaître. En créant des vampires, Mâra perturbe le cycle de la réincarnation.
Autre point très agréable, les dieux existent, se querellent, participent à l’action. D’un chapitre à l’autre, Shiva, Khâli, Yama, et d’autres apportent au roman un second degré assez jubilatoire. Si le début en France est un peu plat, j’ai vraiment été conquise par la mise en scène de toutes ces légendes. Avant, je ne connaissais pas grand-chose à la culture hindoue. Après La déesse écarlate, tout est devenu plus limpide.
L’histoire d’un amour plus fort que les réincarnations échappe très habilement à la niaiserie, et au romantisme. Derrière un corps et un visage parfait, Mâra est l’incarnation de la bête, et c’est cette bête sanglante, dangereuse, porteuse de mort, qui attire Jonathan, un jeune homme lisse, trop pur pour ne pas dissimuler, dans le fond, un monde de perversités. C’était bien pensé. Il n’y aura donc pas de promesse de vie éternelle à deux. Le vampire a ici l’effet révélateur de tout bon démon érotique, il donne au héros une porte vers la démesure dans un voyage initiatique absolument inversé. De toute manière, on peut dire que la relation de ces deux âmes est trop tordue depuis le début, Jonathan se rêvant sous les traits d’un enfant de douze ans qui brûle de désir pour la dame vampire, alors maîtresse de son père. L’attraction irrationnelle des corps, plus que de l’esprit, est le moteur de cette possible réaction, leur drame étant de n’avoir pu consommer leur amour dans une vie antérieure…
La déesse écarlate mérite sa place dans une bonne bibliothèque consacrée aux buveurs de sang, pour ceux qui préfèrent les frissons, la perversion, aux fantasmes trop sages. Bon moment de lecture, il passera cependant à côté du roman culte à cause, toujours, d’un certain manque de profondeur de la part des personnages. Le chaste Jonathan tient bien son rôle, mais un caractère moins superficiel et attendu aurait été préféré. Le rôle de l’amie humaine qu’il veut sauver et qui, devient finalement une sorte d’entrave à l’explosion de ses pulsions sexuelles est amené de manière assez bancale. Heureusement, la fin échappera au retournement que l’on pourrait craindre. Elle est parfaite, logique, satisfaisante, et pourtant cruelle.