Oubliés est un témoignage fictif de Louis, un homosexuel déporté en 1944 dans un camp de la mort, séparé de Jacques qu'il cherchera d'abord, et oubliera ensuite, et aimera toujours. Entre l'incompréhension de sa séparation avec son grand amour, entre la reconstruction après un an passé dans l'Enfer, jusqu'aux confrontations avec un amour retrouvé qui meurt peu à peu, le roman alterne entre un récit à la première personne et des rappels fréquents au lecteur qu'il s'agit d'un vieillard en train de raconter à un enfant l'histoire de son grand-père qu'il n'a que peu connu. L'alternance est bien dosée, elle alterne entre le passé et le présent et rend compte, en partie, de l'impossibilité de parler totalement de la déportation. Elle fait partie de la vie de Louis, et l'amour et l'histoire se mêlent. Le sujet est plus la manière dont la vie bascule et donc on se supporte dans la monstruosité de la solitude ; en s'élevant sur les milliers de juifs de que Louis a vus passer sans jamais revenir, il va tenter de se reconstruire dans un Paris dévasté par l'histoire. Peu à peu, loin de la Shoah, on grandit vers le tragique et les séquelles d'une telle guerre. Dans le fond, un manifeste de " plus jamais ça ", soixante-dix ans après la guerre.
Oubliés est écrit par une fille de vingt ans que je connais personnellement et que je me devais donc de lire, et le principal défaut de ce livre, c'est sa préface. La préface de Madelaine Chapsal réduit l'auteur au rang de jeune de vingt ans, âge devant lequel on tombe en extase sous prétexte qu'on a autre chose à foutre que de l'art pour prouver au monde qu'il a tort. La jeunesse, ça n'existe pas. C'est bien écrit, c'est beau et clair en même temps. Il y a quelque chose de profondément rare dans la longueur des phrases, souvent bien dosées en virgules et en respirations. De temps en temps, on tombe sur des phrases plus courtes qui rompent avec le rythme habituel, et sur des phrases qui contiennent moins de temps de respiration que la normale. On aimerait bien que tout soit sur le même rythme, pour nous porter d'une manière encore plus fluide jusqu'à la fin, plombante mais presque inéluctable. Certains développements, notamment ceux du dernier chapitre, sonnent comme des explications de l'auteur un peu faciles, mais pertinentes. Peut-être que c'est ça, les erreurs qu'on accorde à la jeunesse. À l'expérience peut-être, ou en tout cas au désir d'écrire une histoire et de réécrire une histoire particulière. Oubliés refait l'amour par l'Histoire, et l'Histoire par l'amour. Elle fait revivre les fantômes de 39-45 de l'intérieur, avec un langage profondément touchant. C'est rare.