Quand il s’agit de choisir un livre, je possède des rituels bien à moi : je regarde (un peu naïvement) les première et quatrième de couverture, lis la première phrase puis en cueille une poignée, çà et là, au hasard des pages.
L’ouverture de Paris-Bangkok m’a intrigué. Un peu percutante, très emphatique, inhabituelle ; une annonce assez fidèle de l’entièreté du roman de Nicolas Rimbal.
Habillée de beaucoup de verbiage, l’histoire suit le parcours choral de trois personnages : Robert, arnaqueur professionnel, Muffin, son stagiaire, et Alexandre, apprenti philosophe. Autour d’eux gravitent des héros éphémères, touristes et autochtones thaïlandais, dont les destins s’emboîtent selon un seul mot d’ordre : l’arnaque.
Car c’est bien là toute l’essence du récit. Nicolas Rimbal dépeint avec beaucoup de couleurs les ingénieux dessous de la capitale. Il gratte le vernis de la carte postale et laisse une chair à vif, obéissant à ses propres règles et jouant avec le système. Bangkok apparaît avant tout comme une maîtresse de l’argent. La ville, véritable personnage à part entière, mène une insatiable quête du profit - peut-être par cupidité, mais aussi (et surtout) par nécessité de survie. Là s’opère un intéressant renversement pour le lecteur. S’il essaye de se ranger du côté de la morale, de s’offenser pour les Jean-Luc et autres François dépouillés de leur argent, il finit, un peu contre son gré, par approuver la fraude à moitié. Entre touristes plastifiés et arnaqueurs assumant leur pleine humanité, la balance penche donc selon un plaisir coupable. À vrai dire, l’ouvrage permet de mener une véritable réflexion sur la société de consommation et la superficialité de l’ouverture à l’autre. Le touriste devient un animal bête et, son magouilleur, une espèce évoluée et quasi-immortelle. Étrange sacralisation s’il en est, au pied des statues bouddhistes et des temples dédiés...
Une place relativement importante est accordée au monologue. L’épaisseur du «je» emporte le lecteur in medias res et permet, surtout, une dynamique de jeu presque cinématographique. Le personnage de Robert est probablement le plus emblématique. Ses dialogues à lui sont à la fois son étoffe et son essence, ils le font gonfler au fur et à mesure du texte jusqu’à lui conférer une présence formidable et écrasante, occultant presque les autres personnages. Car Robert sait tout, Robert a tout vu, et Robert nous apprend, une page après l’autre, à découvrir la Thaïlande différemment. Ceci étant, il est à noter que la grandiloquence des tirades tend parfois à imiter Audiard sans jamais l’égaler (elles ont toutefois le mérite d’essayer).
Un mot, enfin, sur la crédibilité du propos. Il est clair que l’auteur a voyagé. Beaucoup. Ses descriptions de l’Orient tombent justes et ne font pas dans la décoration. Certaines arnaques, par ailleurs, sont trop ingénieuses et savoureuses pour avoir été inventées. Nicolas Rimbal vend du vrai et s’en amuse ; il nous embarque dans les odeurs d’épices et les couleurs chaudes.
Et, pour ça, le voyage vaut le détour.