Romancier (y compris pour la jeunesse), nouvelliste, dramaturge, essayiste, scénariste… Tim Winton est probablement l’un des écrivains australiens les plus prolifiques de sa génération et aussi probablement le plus traduit à travers le monde ; la France n’est d’ailleurs pas en reste puisqu’une douzaine de ses ouvrages ont été publiés chez nous et on ne s’en plaindra pas. J’avais déjà tenté d’explorer la bibliographie de cet auteur il y a de cela quelques années en piochant chez les adultes (Les ombres en hiver), mais également en jeunesse (L’amour est la septième vague), me promettant d’y revenir plus sérieusement quand ma pile à lire aurait diminué de volume. Et comme les choses sont bien faites, la pile en question a fini par atteindre la strate Par dessus le bord du monde, roman publié initialement en 2001 en Australie (et traduit en 2003 chez Rivages). Alors bonne pioche ou pas ?
Direction l’Australie donc, plus précisément la région de Perth sur la côte occidentale, dans la petite ville de White Point (ne cherchez pas sur une carte, cette bourgade est purement imaginaire), peuplée essentiellement de pêcheurs de langoustes, de surfeurs et autres hobos écorchés par la vie restés pour l’ambiance de bout du monde. Vilain petit canard issue d’une famille de la bourgeoisie australienne, Georgie n’a jamais voulu suivre le destin qui semblait déjà tout tracé par son père, quittant ses études de médecine, elle devient infirmière spécialisée en oncologie, puis vagabonde sur les océans du globe avec plus ou moins de bonheur, avant de s’échouer à White Point, lessivée, sans but précis. Elle y fait la connaissance de Jim, veuf, deux enfants, pêcheur de langoustes. Cinq ans plus tard, Georgie noie son ennui dans la Vodka, passant ses nuits à errer sur le web, sans but, sans volonté autre qu’arriver au bout de la nuit, puis, enfin terrassée par la fatigue, s’endormir comme une masse. Quant à Jim, il semble résigné, emmuré dans son silence et le souvenir de sa femme morte d’un cancer quelques années plus tôt. Jusqu’au jour où Georgie fait la rencontre de Lu, alias Luther Fox, ancien musicien désormais reconverti dans le braconnage ; une activité pour le moins risquée dans un village de pêcheurs de langoustes où les patrons de bateaux sont pour le moins sourcilleux avec ce genre de pratique. Ceux qui s’aventurent dans leur pré carré, s’exposent à de sévères mesures de rétorsion. Mais Lu est habile, il connait le coin comme sa poche et de toute façon il n’a pas grand chose à perdre, l’ensemble de sa famille ayant été décimé dans un accident de voiture. Depuis Lu vit seul, dans la vieille ferme de ses parents peuplée de souvenirs et de fantômes, entouré seulement de ses livres et de vieux objets qui lui rappellent sans cesse un bonheur révolu. L’alchimie entre ces deux êtres perdus est immédiate, mais dans une petite ville où tout le monde se connaît, s’épie et se jalouse, cet amour n’a pas sa place.
Alors soyons précis et concis, ce roman est absolument magnifique, c’est une merveille de sensibilité, de retenue et de poésie. J’avais beaucoup aimé ce que j’avais jusqu’à présent lu de Tim Winton, mais cette fois la barre est placée encore plus haut. C’est remarquablement écrit et raconté, dans un style à la fois travaillé mais très simple d’accès, et, ce qui ne gâche rien à l’affaire, la traduction, que l’on doit à Nadine Gassie, me paraît exempte de tout reproche. La nature (l’océan surtout) et la musique sont dans ce roman intimement liés, et l’écriture de Tim Winton réussit parfaitement à susciter les images et les sons qui s’imposent au lecteur avec une acuité peu commune. La brutalité des éléments, leur beauté aussi, se mêle aux tonalités de la musique évoquée tout au long du roman, aux sons d’une nature sauvage et implacable, conférant au roman une atmosphère d’immensité et de plénitude. Il y a un petit côté road movie dans ce roman, qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère d’un Paris Texas. Mais c’est cette fois l’Australie qui s’offre à nous, dans toute sa splendeur et sa démesure. Par dessus le bord du monde respire les embruns de l’océan et la poussière rouge venue de l’outback, la rudesse de la nature n’a d’ailleurs d’égal que la beauté époustouflante des paysages qu’elle nous offre dans ce décor de bout du monde.