Passé inaperçu de Gabrielle Schaff nous lance sur la piste de passés entrelacés. L’Est industriel, berceau de l’histoire, sublime le destin d’une cinéaste à la recherche de son ami Fahd. Ce fils d’immigrés algériens a disparu sans laisser de traces. Cette quête réveille alors un sombre passé, celui des grands parents de la narratrice, « malgré-nous » durant la seconde guerre mondiale.


Passé inaperçu, Gabrielle Schaff, Seuil, 24p., 18 €


Le mois qui suit les attentats de Paris, Fahd disparaît. Énigmatique, sa disparition plonge Gabrielle, une ancienne condisciple de la faculté de cinéma, dans une sorte d’effroi. Elle éprouve le vide de son absence mystérieuse, comme une tragédie. Est-il mort, s’est-il enfui, et surtout pourquoi ? Confrontée à une juge d’instruction qu’elle ne peut renseigner, la jeune cinéaste se lance à la poursuite de Fahd. Cette quête la mène au cœur du passé de ce fils d’immigré, ouvrant la boite de Pandore.


Gabrielle incise le canevas des souvenirs de Fahd jusque là inaperçus. Elle part à la recherche de sa mère, qu’elle trouve dans un foyer Sonacotra. Les conditions de vie des pieds noirs, exclus de la société française dès leur arrivée, sont dépeintes avec noirceur. Là bas, l'héritage des chibanis s'est estompé. Seuls d'anciens clichés de famille guident Gabrielle dans sa reconstruction du passé de Fahd.


Cette confrontation au sombre passé de Fahd déclenche de nouveaux souvenirs chez la cinéaste. Caméra au poing, la réalisation d'un documentaire sur les immigrés algériens la plonge en pleine réminiscence. Les passés évoluent alors ensemble, s’enrichissant de leur confrontation. Un drame, sur lequel elle n’arrive pas à mettre des mots, resurgit alors. Un passé épineux, celui d’un grand-père au service de la Wehrmacht durant la seconde guerre mondiale. Alfred, affectueusement surnommé «Freddy », envoyé sur le front soviétique et très vite enfermé dans un camp. Il affirme pourtant ne pas avoir combattu. Mais rien n’est moins sûr pour Gabrielle.


Paradoxalement, le départ de Fahd marque le début d’un nouveau cycle, celui de l’acceptation. Telle une seconde naissance, la quête des autres permettant la quête de soi. La cinéaste, qui a toujours scruté la vérité à travers son écran se trouve plongée malgré elle dans des ressorts incompréhensibles, soldant son instabilité identitaire. L’acceptation prend dès lors le pas sur l’incompréhension. S’affranchissant de ses anciens schémas rationnels, Gabrielle peut amorcer le deuil de Fahd.


S’affranchissant des quêtes mémorielles impersonnelles, l’auteur nous invite à un cheminement qui relève de l’intime, ces passés évoluant au grès de la lecture. Le lecteur possède ainsi toutes les clés pour saisir les nuances de ces passés sans toutefois pouvoir les expliquer entièrement. L’écrivain nous questionne perpétuellement : sommes-nous régis par notre passé ou la tentative d’y échapper ? Sans amorcer de réponse, l’auteur abolit nos certitudes et nous décontenance. « J’ai des images, mais pas d’histoire », conclut Schaaf. Ces passés resteront bien inaperçus.


On en vient alors à se demander si ce roman ne possède pas une part autobiographique, tant Gabrielle semble se rapprocher à bien des égards de l’auteur. Anecdotiquement, de par leur passion commune, le cinéma, et plus insidieusement, de par la sensibilité de l’écriture. Cela peut être sinon le signe d’un pari réussi, celui d’une écriture réaliste et sincère, amenant le lecteur à s'interroger sur la portée psychanalytique de ce roman pour l'auteur.

CamillePth
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le 31 janv. 2020

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