On peut voyager avec des mots. S’il était permis d’en douter, le « roman » de Dany Laferrière en serait une preuve indiscutable. En quelques mots, non seulement nous sommes en Haïti mais on en saisit rapidement l’âme. Car si l’auteur a longtemps vécu au Canada (pour avoir fui les menaces qui pesaient sur lui), le fait de revenir vingt ans après le met dans une situation particulière, celle d’un étranger qui redécouvre un pays qu’il a en lui, qu’il connait et qu’il comprend. C’est notamment le duo incarné par sa mère Marie et sa tante Renée qui lui permet de nous raconter l’âme de ce pays qui est si étranger aux Occidentaux. Car si les habitants sont nombreux, et de plus en plus, les morts ne sont jamais loin, et tous les jours Marie n’oublierait pour rien au monde de jeter quelques gouttes de café au sol pour sa mère, Da, certes décédée, mais qui est toujours là, parmi les vivants.
C’est surtout pour ces premières pages que j’aime cet ouvrage, que j’ai du mal à qualifier de roman tant il semble autobiographique. Ces premières pages, avec Renée, Marie, et Da. Le reste est intéressant, mais on quitte un peu l’intime, la famille, pour le pays, avec une vision plus extérieure, un peu sociologique voire ethnologique. Dany Laferrière redécouvre ce qu’il sait déjà, ce pays qui n’a pas vraiment changé en vingt ans. Il retrouve ses deux meilleurs amis, mais je dois dire que ces personnages m’ont beaucoup moins intéressé. Il enquête sur des phénomènes curieux qui se sont produits dans la ville de Bombardopolis, mais les faits sont moins intéressants que la question du poids de la religion, des rapports entre le vaudou et le catholicisme, les divinités vaudoues étant parvenues à s’incruster dans le christianisme. Le voyage dans le monde des morts est très intéressant à cet égard : en Haïti, « pays sans chapeau », la mort est omniprésente. Pour en savoir plus, il faudra parcourir ce livre.
Bref, comme Dany Laferrière retrouve ici son pays vingt ans plus tard, je retrouve pour ma part Dany Laferrière une quinzaine d’années après l’avoir lu. C’est instructif, et surtout, toujours fort agréable.