Le petit livre est très attirant quand on le feuillette en librairie. Plein de jeux, et on sait qu'avec Perec, cela va être délicieux de tord-méninges et de malices.
Des jeux, oui, publiés dans Télérama.
Quelques Senscritiqueurs trop zélés viendront dire que ça n'a rien à faire dans la catégorie "livres", et demanderont alors à pouvoir noter leurs sudoku.
Les sudokus, ça n'est pas créé par Perec, c'est toute la différence. Quand on joue avec l'auteur, quand on joue avec le livre, on n'en doute pas une seconde : c'est de la littérature. C'est même peut être un petit aboutissement littéraire. Un qui n'ira pas plus loin : on a touché une limite du genre, qui n'est d'ailleurs que limite pour l'instant. On a déconstruit les mots du livre pour demander littéralement au lecteur de les écrire lui-même.
Et si la publication s'est faite d'abord dans une revue, comme un vulgaire mot-fléché fait par un inconnu, les romans ont connu les pages des journaux, tout engoncés entre la colonne des faits divers et celle des petites annonces, et tout le monde s'en fiche.
Le livre est donc divisé par dates de publication, ce qui correspond aussi à un arrondissement parisien (avec un petit bonus métropolitain). Chaque chapitre contient un mots-croisés et un ou deux petits jeux en plus, ou simplement un morceau de texte sur Paris, une information rigolote. Souvent, c'est un itinéraire qui est donné. Savez-vous comment faire l'itinéraire le plus court en passant par le plus de rues possibles ? Savez-vous où se trouve l'itinéraire le plus long n'empruntant uniquement des rues commençant par les trois premières lettres de l'alphabet ? Perec, oui. Il a même mesuré la largeur des rues pour vous donner, non pas les rues les plus longues, mais les rues à la plus grande surface en mètre carré.
Le petit livre fait de la résistance, quand on décide de s'attaquer à ces casses-têtes.
Difficile, en effet, au premier abord, de trouver un "dans la rue des Fleurs" en 3 lettres quand on n'y a jamais mis les pieds, et on se casse les dents contre les petits carreaux de la grille noire et blanche. Puis, doucement, on capte l'esprit de Perec.
Ces mots-croisés sont géniaux parce qu'on joue avec Perec. Comme La vie mode d'emploi racontait la relation entre le créateur du puzzle et celui qui le reconstituait, ici cela devient évident : un puzzle, ce n'est qu'un mots-croisés en bois et en image.
Une fois comprise la façon de jouer de Perec, on réussit à jouer avec lui. Tout n'est que jeux de mots, et les définitions sont bien loin de leur interprétation littérale. On a finalement un aperçu de mots à travers les yeux de l'auteur, un petit concentré de ses méninges à édulcorer en grille. On goûte au jeu quand on apprend à penser dans le même sens que Perec.
Le jeu, c'est aussi le plaisir de lire un livre dans tous les sens. On commence par son arrondissement préféré, celui où l'on vit, ou par le premier : on s'en fiche, ça ne change rien. On lit dans le sens qu'on veut. On arrête au milieu, on demande de l'aide et puis finalement on continue tout seul, on reprend un autre arrondissement, on se retient de ne pas tricher.
Ce n'est pas le bon morceau pour aborder Perec, mais c'est délicieux en cours de route.