Itinéraire d'un connard égocentrique
Avec son nez empaté, ses paupières tombantes et ses balafres, la gueule d'Andrew est plus proche de celle de Rocky que de celle d'un batteur. "Batteur", le mot correspond tout de même parfaitement : le tshirt trempé de sueur et les mains en sang, un type avec un corps de gros chamallow tente malgré ses épaules tombantes et son air hébété de "devenir un grand" de la batterie.
Déjà entré dans un très bon conservatoire de musique jazz, le but de l'affaire est de se faire repérer par Terence, chef d'orchestre de renom que l'on craint comme l'on admire. Andrew réussit, bien évidemment, malgré son air un peu gauche, à entrer dans son ensemble, et commence le long calvaire menant à la réussite : Terence se trouve être, en plus d'un prof exigeant, un sale connard qui n'hésite pas à attaquer ses musiciens sur leur physique, et à les placer en rude concurrence, sans se priver d'insultes en tout genre. Le plus beau dans l'histoire serait tout de même de nous raconter que ce prof pousse la moitié de ses élèves à la dépression dans le but de trouver une perle qui ne se découragera pas, le tout absolument justifié par le fait qu'un certain saxophoniste s'est pris une cymbale dans la tête alors qu'il jouait mal, et que cet échec l'aurait poussé à se surpasser. Outre le fait qu'il n'y ait rien au monde de plus exaspérant que la petite anecdote répétée quatre fois en deux heures et le cas particulier pris comme règle générale, le profil du méchant prof à la recherche de la perfection est d'un fatigant sans nom, surtout quand il est comme ici poussé dans une exagération absurde (et je sais très bien que oui, les profs horribles, ça existe). Peut être alors que c'est justement l'absurde de ce comportement (il est peut être censé être drôle en fait, je viens de penser, mais bon, bof) qui rend Terence légèrement plus supportable qu'un Andrew gonflé d'orgueil. Insupportable personnage, sûr de son talent, de son caractère incroyable, certes travailleur à l'extrême, cela ne l'empêche pas d'être poussé par un ego plus que par un rêve. (Précisons peut être que j'ai passé les deux heures du film à ardemment désirer traverser l'écran pour lui arracher les yeux et le pendre à ses propres intestins, ça m'a vraiment gâché le film). Alors oui, oui, ici l'on voit bien l'itinéraire d'un type travailleur avec un but (tant mieux pour lui, ça ne l'empêche pas d'être la personne la plus détestable du monde), je le concède, on nous montre très bien ce qu'on veut nous montrer. L'histoire en soi n'est pas vraiment la source de mes reproches, tout ça se défend, bien que le parcours du jeune musicien dans ses hauts et ses bas soit déjà tracé par des milliers de films/livres auparavant.
Ce que je reproche au film, c'est plutôt de n'avoir absolument aucun intéret.
Quelques images sur des cuivres qui luisent, sur des cymballes qui frappent, une lumière orange et des gros plans sur la face déformée du batteur, mais un tout assez fade (peut être simplement le résultat de cette lumière orange quasi permanente qui empâte un peu l'air). La musique est bien là, on l'entend sonner, mais rien ne lui fait vraiment écho. Ça manque un peu du cliquetis des mécaniques d'un saxo, ça manque un peu d'amour de la musique pour un film où pourtant le personnage principal se torture pour elle. C'est un peu vide d'âme. J'ai lu dans une critique quelque chose comme "on n'avait jamais filmé le jazz comme ça", mais en même temps, il n'y avait rien de propre au jazz : il aurait pu être batteur dans un groupe de hard rock, ça aurait été pareil. (Ça n'a pas vraiment de rapport, mais dans "A star is born" y'a une scène avec Judy Garland entourée de cuivre qui en quelques minutes fait plus d'effet que deux heures de ce film).
Une histoire entendue, des personnages qui nous mettent dans tous nos états d'énervement (mais pas au bon sens de la chose) : il y a un truc un peu vide dans ce film, qui reste certes contrebalancé par le petit match de boxe que Andrew mène pour se faire une place. Il faudrait quand même aller voir le film pour la dernière scène (pas la partie "solo, je suis un rebelle génial"), ce moment cauchemardesque (qui m'a fait m'enfoncer dans mon siège de plaisir) où l'on est sur scène sans avoir la moindre idée du morceau joué.