Il y a des livres qui ne laissent aucune trace : ni à la première lecture, ni à la relecture, ni quand on les feuillette quelques semaines après en quête de quelques éléments de critique. Les Petites Vies des grands hommes de Lætitia Bianchi relèvent de cette catégorie. Peut-être est-ce lié au fait qu’il s’agit d’un recueil d’articles parus à l’origine dans la défunte revue le Tigre autour de 2010 ; il me semble pourtant que cette la valait davantage que ces divers périodiques voués à finir dans la poubelle jaune aussitôt après avoir été lus.
Petites Vies des grands hommes ne doit pas finir dans la poubelle jaune : il n’y a rien de révoltant dans l’écriture de ces soixante pages à couverture rayée. Elles ne sont ni mal écrites, ni pas écrites ; à la vérité, le style en est même plutôt alerte et bien troussé. Ce n’est même pas que ces courtes biographies soient trop ambitieuses pour leurs moyens : ni ambitieuses, ni dénuées d’ambition, elles s’en tiennent finalement à un entre-deux. Et il me semble que le sous-genre de la vie minuscule – car en définitive c’est de cela qu’il s’agit – ne s’accommode pas de la moindre neutralité, que tout entre-deux ne la fasse tomber à plat. (Ce qui n’est pas le cas des vies longues : biographies en bonne et due forme ou même extraits d’encyclopédie.)
Qu’on jette un œil à la liste des grands hommes (et de la femme) ici présents : Ben Laden, Diderot, Frédéric le Grand, Hemingway, Léonard de Vinci, Liszt, Machiavel, Malraux, Mao, Nerval, Proust, Sade, Verlaine, Verne, Louise de Vilmorin. Puis, qu’on pense aux textes qu’auraient pu en tirer un Marcel Schwob (Vies imaginaires), un Borges (Histoire universelle de l’infamie), un Pierre Michon (à la manière de ses Vies minuscules, précisément) ou un Michéa Jacobi (dans un volume des Humanitatis Elementi). Toutes ces œuvres présentent un parti-pris suffisamment solide, propre à leur assurer une richesse esthétique et intellectuelle supérieure à celle de Petites Vies des grands hommes, dont l’angle d’attaque (voir les grands hommes par le petit bout de leur vie, d’une façon doucement sarcastique) en limite d’emblée la portée.
J’aurais aimé aimer ce livre, je détesterais le détester.

Alcofribas
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le 9 nov. 2019

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