J'aime bien les biographies de Lacouture, pour le sens de la théâtralisation, pour l'exaltation communicative de l'auteur pour les personnages qui ont retenu son intérêt. J'avais déjà lu celles de Malraux et d'Ho Chi Minh quand je commençais mes études, mais mon doctorat a dû me transformer en universitaire sectaire, car avec cette biographie de Mendès, j'ai surtout été frappé par certains vides.
Mendès est une énigme pour moi : il n'a été au pouvoir qu'une dizaine de mois, mais sa figure a marqué toute la IVe République et une partie de la Ve. Je pensais qu'en lisant ce livre, je comprendrais l'originalité de la pensée et les raisons de cette notoriété. En partie seulement, et je referme ce livre déçu. Pour plusieurs raisons :
- Le plus gros point noir concerne la chronologie. Lacouture met en annexe une chronologie sommaire de la vie de Mendès France, mais dans le corps de son (long) texte, on trouve très rarement des notations de dates, de mois, etc.. Il arrive souvent que le lecteur lise "l'année suivante", ou "le lendemain", sans qu'on lui ait donné plus tôt la précision chronologique nécessaire.
- On comprend que Lacouture a nourri très tôt une admiration pour Mendès, et il raconte avoir été présent à tel ou tel meeting, avoir cotoyé tel ou tel collaborateur mendésiste, etc.. C'est bien, mais son écriture manque de pédagogie et de recul : écrite en 1981, elle s'adresse au public de l'époque, qui avait encore les évènements des trente dernières années à l'esprit. Pour nous, hommes et femmes de 2012, beaucoup des personnages que l'auteur cite en passant, comme s'ils étaient censés évoquer en nous des images précises, ne nous disent strictement plus rien. Voilà le deuxième gros point noir.
- De même, les paragraphes attendus sur l'entourage de Mendès sont trop allusifs et, en-dehors des pages consacrées à sa proximité avec l'équipe de "L'Express" (Fr. Giroud et J.-J. Servan-Schreiber) ou avec Georges Boris, l'entourage de Mendès reste pour nous abstrait, tout comme la proximité avec la jeunesse que revendiquait cet homme politique.
- Il s'agit d'une biographie partisane : on n'y trouvera que très peu d'allusions défavorables à Mendès (une seule, sur ses faibles capacités de navigateur pendant la guerre aérienne au-dessus de Londres, me vient à l'esprit). A la rigueur, cela ne me gêne pas, mais il y a autre chose de décevant. Il apparaît que Lacouture a eu de longs entretiens avec PMF dans la demeure de celui-ci à Louviers. On aurait aimé sentir davantage de cette proximité avec l'homme : si Lacouture rend bien certaines postures, certaines intonations, on a du mal à imaginer l'homme quotidien. On en reste donc à l'image d'un bourreau de travail qui n'avait jamais de temps pour lui. Je suis pourtant sûr qu'il y avait autre chose. On aimerait quelques anecdotes de plus qui laisserait voir l'être humain derrière l'animal politique.
Au final, Lacouture dresse le portrait d'un homme politique dont la principale originalité est le courage et l'intégrité, mais cet éloge de 540 pages est par moments assez laborieux, si bien que l'auteur dessert un peu le propos qu'il prétend servir. On aurait pu faire mieux avec 150 pages de moins et une chronologie plus rigoureuse et resserrée. L'ouvrage rejoint donc les immenses cohortes des biographies oubliables d'hommes politiques français. A noter qu'il y a une postface écrite par Mendès après que ce dernier ait lu le manuscrit de Lacouture. On y trouve une profession de foi émouvante sur le métier d'homme politique.