Je dois avouer que le simple titre de ce livre m'avait immédiatement amené à me montrer extrêmement suspicieux à son égard étant donné d'une part parce que la nature même de la pensée de Nietzsche entre inévitablement en contradiction avec celle de Platon et d'autre part parce que tout au long de sa vie (et ce dès les premiers écrits de jeunesse de Nietzsche lorsqu'il n'était alors que professeur de philologie à l'université de Bâle) Nietzsche s'est perpétuellement employé à réfuter de manière à la fois catégorique et cinglante absolument tous les aspects du platonisme qu'il a toujours considéré comme "décadent". Un terme qu'il utilise en effet à de nombreuses reprises et par le biais duquel il rejette en bloc aussi bien l'ontologie platonicienne que la morale platonicienne qui, comme il le soulignera dans ses fragments posthumes dans la dernière partie de sa vie, lui apparaît comme l'un des "symptômes préparant l'avènement du christianisme".
Suspicieux donc face à un tel choc conceptuel qui empêche bien évidemment et nécessairement toute réconciliation entre les deux philosophes ; mais intrigué cependant car le commentaire de Monique Dixsaut intitulé Nietzsche: par delà les antinomies m'avait cependant laissé un très bon souvenir car celui-ci avait incontestablement le mérite de mettre en lumière et de résoudre de façon singulière et tout à fait pertinentes les contradictions "apparentes" de la pensée nietzschéenne. Force est de constater en définitif que la surprise l'a largement emporté sur la suspicion car je n'aurai jamais pensé que quelqu'un qui est censé être spécialiste aussi bien de Nietzsche que de Platon puisse se laisser aller à des digressions et des rapprochements aussi farfelus et dénués de pertinences que ceux qu'on rencontre dans ce livre. Manifestement Monique Dixsaut s'est totalement perdue à la fois dans sa propre argumentation et dans sa tentative désespérée de rapprocher Nietzsche et Platon car pour aller jusqu'à affirmer comme elle le fait p105 qu'on peut "prêter une métaphysique" à un penseur tel que Nietzsche qui s'oppose inlassablement dans tous ses écrits à toute forme d'ontologie et qui va même jusqu'à récuser le concept kantien et schopenhauerien de "chose en soi", il faut se montrer parfaitement insensé ou alors parfaitement ignorant de la pensée de Nietzsche et des différents travaux universitaires sur le sujet.
En réalité, on pourrait sans problème adresser à Monique Dixsaut exactement la même critique que celle qu'elle adresse dans le préambule de son livre(à très juste titre cependant) à Heidegger: "C'est dans son *Nietzsche*que Heidegger soumet la philosophie de Platon à une simplification dogmatique, pour ne pas dire scolaire, qu'il rectifie parfois sans vraiment l'abandonner. Comment, autrement, faire de Nietzsche un métaphysicien? L'interprétation heideggérienne du platonisme est toute entière orientée par la volonté de réintégrer Nietzsche dans le bercail de la métaphysique..."
Monique Dixsaut a parfaitement raison sur ce point précis et elle critique à très juste titre la vision heideggérienne de la philosophie de Nietzsche qui a effectivement obscurci plutôt qu'éclairé notre connaissance de celle-ci et ce tout particulièrement en France à l'époque où l'on vouait un véritable culte à Heidegger. Malheureusement cependant, plus on avance dans la lecture du livre, plus on se rend compte que c'est en quelque sorte vraiment l'hôpital qui se fout de la charité car que ne fait Dixsaut tout au long de son argumentation sinon effectuer elle-même cela même qu'elle critique chez Heidegger? Non seulement on a pour le coup totalement affaire à une simplification scolaire du platonisme qui ne nous apprend strictement rien si ce n'est que "la pensée est un dialogue intérieur" ou encore que le concept de "réminiscence" constitue la clef de voûte de la plupart des dialogues de Platon (des choses tout à fait basiques donc que l'on apprend en réalité dès la terminale) mais on a également réellement affaire à des contre-sens absolus et insensés en ce qui concerne la pensée de Nietzsche qui sont manifestement le résultat de digressions obscures pour ne pas dire pseudo poétiques par moment. L'exposé lui même est tout à fait incompréhensible car les différents points ne sont en réalité jamais abordés par le biais d'une confrontation entre Platon et Nietzsche (ce qui aurait certainement conféré à l'ensemble du livre un minimum de pertinence) mais d'une manière séparée qui ne fait que montrer à quel point tout rapprochement entre les deux auteurs s'avère définitivement impossible et irréalisable. Je veux tout simplement dire par là que l'exposé ne fait malheureusement à aucun moment dialoguer les deux penseurs, la première et la deuxième partie du livre en sont en cela des exemples extrêmement flagrants: Dixsaut cherche à nous montrer ce que représente pour eux et ce qu'ils appellent le fait de penser chez les deux auteurs ou encore comme c'est le cas par la suite le fait d'écrire ; mais on se retrouve systématiquement dans le livre avec une rhétorique insipide du style "voila ce que c'est pour Platon...." puis après un long et exténuant développement qui s'étale sur plusieurs pages "voila ce que c'est pour Nietzsche". Je résume bien évidemment les choses de manière extrêmement triviale mais, à peu de choses près, c'est à cela que l'on a affaire de mon point de vue.
Qu'est ce que cela nous apprend véritablement? Quel est l'intérêt d'un tel rapprochement entre deux auteurs que tout oppose si ce n'est de les éloigner en définitif un peu plus l'un de l'autre...