Critique de Poète et paysan par Anna
Léger, gentil et sensible.
Par
le 30 août 2010
J’ai découvert Jean-Louis Fournier récemment, avec Où on va, papa ? Enfin non, je le connaissais puisqu’à l’époque je me délectais de La minute nécessaire de M. Cyclopède, que j’attribuais évidemment à Desproges. Cohérent que Fournier en soit l’auteur : on trouve dans ses livres le sens de la formule et celui de la chute qui caractérisaient la vignette télé.
Dans Poète et paysan, l’auteur s’imagine (car je pense que ce n’est pas un récit ?) reprenant la ferme familiale de la fille dont il est tombé amoureux. La situation est passablement invraisemblable : déjà, qu’un étudiant en cinéma abandonne sa passion pour le dur métier de la terre c’est limite, mais qu’il le fasse alors que sa fiancée n’est même pas là, parce que, elle, elle poursuit ses études à Paris ?!! Je n’y ai pas cru une seconde.
Cette histoire abracadabrantesque est un prétexte pour nous parler décalage culturel. Bien qu’il se surveille, on le sent, Jean-Louis Fournier ne peut s’empêcher d’être un poil condescendant envers ces gens plantés devant la télé le soir, lui qui écoute de la musique classique et connaît « le cinéma russe ». Ce qui est bien en revanche, c’est l’allégresse avec laquelle il dézingue le cliché romantique du paysan : l’agriculture n’est pas le dernier avatar de la vie authentique, mais un monde bruyant, qui pue, où le lien à la terre n’est plus qu’un beau souvenir, une image d’Epinal. Là, on n’a aucun mal à le croire. Page 54 :
La chaleur est intolérable. Je sue comme un bœuf. Je n’ai pas de chapeau, seulement un torchon à carreaux, noué aux quatre coins. Je marche à côté de la moissonneuse, j’ai peur de me faire écraser, le monstre a de gros yeux qui clignotent et fait un bruit d’enfer. Il dévore tout. Après son passage, il n’y a plus rien. La machine infernale s’appelle Class. Elle soulève des nuages de poussière qui se colle sur moi. Je tousse, je crache. Quand je me mouche, ça fait du noir dans mon mouchoir. Où il est, l’air pur de la campagne ?
Quant aux animaux, il les regarde avec tendresse. Que ce soit les poules soumises à la loi de ce grand macho de coq, avec toujours ce sens de la chute, page 80 :
La délaissée ne se révolte pas. Soumise et résignée, elle ne milite pas dans les mouvements féministes. Elle bosse, sans rien dire, toute la journée, comme une malheureuse, poursuivie sans cesse par les ardeurs d’un coq qui, à tout bout de champ, lui dit tu as de beaux œufs et veut lui refaire des poussins qu’il ne reconnaîtra même pas.
On prend souvent le parti de la poule. On aurait envie de lui conseiller de la quitter, mais ça ne se fait pas. Et elle ne le ferait pas parce que, malgré tout, elle y est attachée.
Elle se console, elle sait qu’elle est bonne au riz.
Allusion, à « bonne au lit », pas mal vu ! Presque du Nougaro.
… ou les vaches au regard mystérieux, notamment une petite génisse qu’il a prénommée Manon en référence au roman de l’abbé Prévost. Page 27 :
Peut-être qu’elle est une princesse très belle qui a été transformée en génisse par un mauvais sort. (…) Cela explique son regard triste, sa solitude. Elle reste souvent à l’écart, elle doit mal supporter la proximité avec des vaches qui ne sont pas de son milieu et qui sont un peu familières. (…)
J’ai parfois la tentation de jouer le prince charmant. Actuellement, je n’en ai pas vraiment l’allure avec mes bottes crottées et ma veste kaki, et je n’ose pas. Je pense au beau-père. S’il me surprend à genoux dans la paille en train de faire une déclaration à une génisse, il va se poser des questions. Il va penser que j’ai l’esprit un peu dérangé et qu’on ne peut pas me confier une ferme. Il le dira à sa fille. Je serai chassé de la ferme et tintin pour les beaux yeux de la fille du fermier.
La fin du livre, où il se fait embaucher à Lille dans une rédaction, rompt un peu le charme. Il émane tout de même de l’ensemble une certaine poésie, comme le revendique le titre. Un peu moins bon que Où on va, papa ? peut-être, parce que le propos est plus léger. Plus il y a de gravité dans le sujet, plus l’humour grinçant de Jean-Louis Fournier fait mouche. Et puis, persiste la limite du livre très court, qui se lit en quelques jours : on ne l’a pas côtoyé suffisamment pour qu’il laisse en soi une trace durable. Une petite trace malgré tout : une trace de purin cette fois, sur la paille de la ferme.
Créée
le 28 janv. 2022
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