Dans la dernière fournées de romans ado québecois arrivent ...des melons? Bah oui, tient, leur couverture verte, leurs pages de garde rose piquetées de pépins, le petit melon moutardé sur le dessus, ce sont bien des melons d'eau! Des pastèques, pour vous, cousins européens. Mais en quoi un melon a-t-il rapport avec ce titre, "politiquement incorrect"? Devant ma perplexité, ma collègue libraire me dit que ce melon tartiné de moutarde pourrait être une référence à des vidéos de Tik Tok, dans lesquels des jeunes se gavent de melon recouvert du célèbre condiment jaune - Heh? Mais quelle idée, c'est si bon tout seul. Enfin, bref, ça m'a amusé de voir ce roman en forme de fuit, et je pressent un lien avec les réseaux sociaux - à moins que ce ne soit qu'une simple lubie de maison d'édition.


Donc, que cache ce fruit rempli d'eau, au juste? Un roman pour vieux ados, comme j'aime appeler les 15-17 ans. Et si la couverture reste un mystère, le titre nous donne d'emblée le ton: oui, messieurs, mesdames, on va jaser de politique, mais qu'à cela ne tienne, c'était étonnamment addictif!


Procédons de manière organisée: d'abord, l'histoire. Nous suivons un ado, Hugo, un étudiant de l'école privée depuis le début de son secondaire et qui passe maintenant sa dernière année à l'école publique. Non, ce n'est pas parce qu'il s'est fait prendre à acheter ou vendre des drogues de "riches' qu'il y est, comme semblent le penser ses nouveaux camarades de classe, mais parce que sa mère est candidate pour le Parti Populaire du Québec, et pressentie pour devenir la Ministre de l'Éducation. Or, déjà qu'il est généralement mal vu d'être à l'école privée ( j'y reviendrai), il serait certainement mal vu pour une Ministre de l'éducation d'avoir un fils dans une école privée. Hugo est un jeune homme anxieux et pessimiste, qui tient à sa vie privée et déteste tout le bazar entourant la politique, les faux semblants, les dialogues vides et les belles promesses. Malheureusement, il se retrouve impliqué. En outre, si sa mère et son Parti ont gagné les élections, voilà que madame Morais se retrouve avec la "patate chaude" du Parti: le ministère de l'environnement, soit le seul ministère dont son Parti n'a pas l'ombre d'un plan, malgré les urgences climatiques et les enjeux associés. Et pour ajouter un peu de moutarde à la situation, voilà que Jade, la fille dont Hugo est intéressé, va se présenter pour la présidence de son école. Heureusement qu'Hugo a ses séances chez sa psy pour tenter de voir plus clair en soi. Sauf qu'un psy, ce n'est pas une machine à donner des réponses.


Bon, d'abord, petite précision de contexte pour nos amis européens. Au Québec, il y a deux systèmes éducatifs: le publique et le privé. On pourrait croire que le "Privé", avec ses écoles rutilantes et modernes, son matériel à la fine pointe de la technologie et ses nombreux discriminants en matière de sélection d'étudiants ne serait qu'accessible aux riches, mais comme le privé est subventionné aussi par le publique ( énorme problème ici) , on a aussi des étudiants de la ( haute) classe moyenne. Mais comme vous le devinez, le "privé", c'est "L'élite", qui n'est d'ailleurs pas forcément méritante. Les enfants à difficulté d'apprentissage ou de comportement, les enfants ayant des handicaps, les turbulents, les moins intelligents, les moins performants n'ont pas leur place ( sauf les petits riches, sauvés par les dons de leur parents). Le publique , pour sa part, rassemble la vaste majorité qui reste, les enfants allophones en intégration , les enfants en difficulté, les Privés rejetés du Privé, les enfants de parents pas assez riches ou incapables de s'endetter, et les enfants dont les parents n'adhèrent pas à l'idée de mettre autant de pression sur les épaules de leurs jeunes. Parce que, vous savez quoi? Au fond, privé ou publique, on finit tous aux même Cégeps et c'est au Cégep que commence la sélection pour l'Université. Alors pourquoi tant de drame pour le primaire et le secondaire, si on finit tous à la même case, finalement? On a un système très inéquitable et injuste, qui démonise l'école publique autant que le privé, dépendamment de quel groupe social vous faites parti. C'est important de comprendre ce contexte, parce que ça explique les réactions des personnages, surtout au début.


Ça explique surtout pourquoi il serait inconvenable pour une député devenue Ministre de l'Éducation - et par extension la représentante du système publique, avoir un enfant dans un somptueuse école privé qui fabrique des élites. Dans la vraie vie, la vaste majorité des politiciens envoient leurs enfants au privé, parce que la vaste majorité adhèrent aux vieux stéréotypes: Le privé forme des citoyens parfaits, le publique c'est pour le peuple, le Privé est sécuritaire, le publique dangereux, le Privé ouvre des portes, le publique, par manque de matériel et d'effectifs, forme surtout des décrocheurs, etc. C'est très divisé.


Hugo se retrouve donc dans l'école publique juste à coté de chez lui, avec pleins d'idées fausses à son endroit, bien sur. Pour bien des gens, les écoles secondaires publiques sont des trous à drogués, à ados blasés et à graines de bandits ( une sacrée ironie quand on sait que le trafic de drogues dures est surtout un problème dans le Privé). Mais en fait, son école est surtout très laide, parce que sous-financée et désuète, mais Hugo y fera la connaissance de personnes assez sympa, dont Jade, intense, bavarde et idéaliste.


Hugo est un personnage principal effacé, qui ne veut surtout pas faire de vague, introverti, cynique et qui a la culpabilité facile. Enfant privilégié, il a tendance à même s'en vouloir de ne pas être plus humble. Il a aussi une forte tendance anxieuse, à anticiper, fuir et saboter. Les relations sociales, c'est pas sa force. Il est suivi par une psy, dont les séances entrecoupent le récit. C'est un ado qui, clairement, se cherche et n'arrive pas à se valoriser. De fait, il doute de tout, surtout de lui-même et cela entrave ses relations avec les autres, même Jade, qui a le béguin pour lui. Cet aspect de l'histoire, la psychologie entourant Hugo, était très intéressante. On a pas tant de héros ado de son âge qui aborde autant d'aspect de leur personnalité et de leur ressenti dans la littérature jeunesse. Plus souvent qu'autrement, ce sont soit des héros "épiques" ou des "beau gars" spécifiquement présents pour le personnage féminin principal. La dernière fois que j'ai vu ce genre de héro, c'était avec "Dear Evan Hanssen", qui au final, est vraiment un con d'avoir monter pareil mensonge sur le dos d'un suicidé. Mais c'est typiquement américain: pas moyen de faire simple. Ici, on est en littérature québecoise, et ça parait, ça reste simple ( attention, pas "simpliste!").


On navigue dans des thèmes très humains: la relation de Hugo avec sa mère, jamais vraiment présente, adhérant à des idées différentes, l'embarquant malgré lui dans la comédie de façade des futurs élus en "mode séduction". Mais ne démonisons pas Madame Morais, Hugo n'est pas simple à vire non plus. Au fond, c,est très commun de ne pas s'entendre avec sa famille. On a aussi les éléments soulevés avec la psy: le changement, la confiance, les mécanismes de défense, l'estime de soi, etc. Un vrai ado en quête identitaire, en somme, comme le sont souvent les personnages adolescents. L'environnement est aussi présent, plus vers la fin, pour cette génération "d'éco-anxieux", en opposition avec les générations de grands pollueurs qui les ont précédés.


On a une présence d'humour au deuxième degré, beaucoup de comparaison crues - en fait le langage n'est pas censuré. On aura la présence de certains sacres (Osti, Criss, notamment), plusieurs termes pas très élégants, mais en même temps, c'est un roman pour les 15-17 ans en montant, alors ce n'est pas non plus inapproprié. Certains des termes sont dans leur contexte, je pense notamment aux insultes sur les pancartes électorales, hélas, bien réelles.


Ce qui m'amène à soulever une réalité mit en lumière par ce roman: la politique pour les femmes. On sent que la mère d'Hugo sert des ambitions de la part de son Chef de parti, surtout quand il prend des décisions paternalistes à son endroit. On sent aussi le discours très vulgaire et rabaissant à caractère sexuel quand il s'agit de femmes politiciennes. Il y a encore un certains sexisme politique dans la province, sans doute parce qu'on a encore des vieux de la vieille encore très machos et des hommes pas très éduqués pour dire que le monde de la politique est un monde d'hommes. Hugo va finir par comprendre cet aspect, on le comprend vers la fin, et en confrontant sa mère, ironiquement, je pense qu'il l'a met sur un réel pied d'égalité.


Enfin , le roman est très aéré, les chapitres minuscules, le tout découpé en trois grandes parties: Judith ( la maman d'Hugo), Jade, puis Hugo. Sa forme est sans doute ce qui permet une lecture fluide et addictive, je l'ai fini en quelques heures, d'une traite. La plume n'est pas spécialement gracieuse ni poétique, elle est même crue, directe, sans fioritures. Le langage n'est pas très élégant, ponctué d'anglicismes et de syntaxe défectueuse, à la manière des gens peu articulés. Cependant , je dirais que ça sied au personnage narrateur, Hugo, mais PAS parce que c'est un JEUNE, ce n'est pas automatique de s'exprimer avec un français moche juste parce qu'on est jeune. En revanche, la plume est claire, les descriptions du ressenti également.


Je termine en disant qu'on a pas beaucoup de roman sur le sujet et que celui-ci se lit comme un charme. On garde l'axe politique, mais on touche pleins d'autre sous-thèmes intéressants. J'aime beaucoup l'intergénérationnalité de l'histoire, l'actualité des sujets, l'imperfection des personnages, la force de caractère des filles, la sensibilité des garçons. Ce roman était une vraie promenade, qui en plus a le mérite de soulever des sujets importants.


À voir!


Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15-17 ans.


Pour les bibliothécaires et profs: présence d'une scène sexuelle explicite, présence de sacres ( pas beaucoup, néanmoins) et d'un vocabulaire peu élégant.

Shaynning

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