Popoème
Popoème

livre de Gaston Criel (1976)

Du temps où je ruinais mes cellules hépatiques deux fois par semaine dans un bar qui vendait du blanc pression (!), s’y produisaient presque aussi souvent des groupes de « chanson poétique et engagée ». J’ai assez vite traduit. « Chanson » signifiait qu’il y avait trois accords, et « poétique », qu’ils utilisaient des rimes. « Engagée », je ne sais pas. Peut-être parce qu’un type avait des dreadlocks. Visiblement (auditivement ?), si ces gars n’avaient jamais écouté Allain Leprest, ils n’avaient pas non plus lu – dans un genre différent, mais répondant aux mêmes critères – Gaston Criel. (Le lecteur aura peut-être associé « poétique et engagé » à Léo Ferré. Libre à lui de remplacer le nom de Leprest par celui de l’anarchiste monégasque ; pour moi, ce ne serait pas un compliment.) Car ce recueil publié pour la première fois en 1976 illustre peut-être la façon la plus intelligente de faire de la poésie engagée. Il faudrait citer « Liberté immédiate » en entier pour montrer cela (« Dure Liberté nous entends-tu ? »)…
En même temps, balancer « Laissez mourir les enfants dans leur mère | qu’ils ne soient jamais père, | qu’ils ne soient jamais mère | et que finisse le gros fœtus de la misère | qui sanglote dans les ventres de la faim. » (c’est dans « Les enfants qui prient ») à un concert, on comprend que ça puisse être difficile. Même dans un bar qui compte de nombreux piliers. Dans le même registre, Popoème commence par « Je me hais quand le jour se lève, les conneries commencent… ». Quant à la photographie qui accompagne le livre, intitulée « Gaston anadyomène », elle représente l’auteur posant nu et souriant étendu sur une plage devant un arbre mort – j’aime presque mieux voir ça qu’imaginer ça…
Pourtant il ne faudrait pas réduire ce livre à une version vaguement alternative ou trash d’un opuscule de Cioran : la portée philosophique en est… disons… réduite, même si on y trouve le même jeu sur l’implicite. En fait, le titre d’un des poèmes, « Espoir triste », donne une idée assez juste du recueil. Dans un vers tel que « Le bain moussant vous met le cul ailleurs le temps d’un bain… », tout y est : travail sur une langue de tous les jours, esthétique du raccourci, désespoir poseur juste ce qu’il faut et goût pour l’universel.
Popoème donne l’impression que la scatologie est l’avenir du lyrisme, et le lyrisme un succédané à la misanthropie.
Son auteur l’a publié à soixante-trois ans.

Alcofribas
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le 1 déc. 2016

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