Comme Rosset, comme Deleuze, Alain Badiou signe ici, dans notre époque contemporaine, un ouvrage sur le réel. Il réveille la conception d'un réel oublié, pornographique, en cela qu'il montre ce que toutes nos représentations nous cachent. En s'appuyant sur Les Balcons, de Jean Genet, et en adoptant donc un point de vue éminemment théâtral, il revient à une idée du réel, qu'il n'hésite à associer littéralement à la pornographie, et au phallus dont Genet fait usage. Les Balcons, c'est un drame des images qui prône le réel. Pourtant, ces mêmes images, si elles cherchent, peut-être faussement, à capturer le présent, sont plus fausses que jamais, puisque le présent qu'elles captent est derrière nous, figé, et rassurant. Genet considère alors le théâtre est le lieu le moins faux pour s'approcher de ce réel, ce qui lui a valu pas mal de censures et polémiques par l'utilisation qu'il fait de l'obscénité et de toutes ces choses plus ou moins nettes. Du point de vue théâtral, je trouve assez particulier ; peut-être que l'art qui s'approche le plus de ce réel, en tout cas aujourd'hui, car des conceptions ont changé depuis Genet, c'est le cinéma. Le cinéma de Cronenberg — car l'horreur est la plus à même de révéler ce réel, par le corps, le sang, la dégradation —, le cinéma de Kechiche — ce qui rend mon admiration pour son dernier film tout à fait objective. Il y a comme une échelle de réel, qu'on cherche à représenter dans l'art, mais le " lieu " où peut le mieux l'approcher, c'est le présent. Reste à définir ce qu'est le présent, sinon, entre autres, le temps dans lequel on assiste, en tant que spectateur, à une représentation de théâtre, à des instants uniques et éphémères.
Et là où l'essai me touche forcément moins, c'est que cette évocation de Genet fait évidemment appel à la politique. Parce que nous nous détachons du réel et du présent, nous rattachons tout à la politique, au pouvoir, et au désir d'y accéder — c'est un moyen facile de s'y détourner, bonjour les polémiques autour de Kechiche que je viens d'évoquer. Il reste à imaginer, comme l'est un festin chez Burroughs et Cronenberg, comme l'est le réel, un pouvoir nu, selon l'auteur ici dépouillé de toutes images, dépouillé des conceptions habituelles qu'on donne faussement au mot " démocratie " (depuis quand, dans notre " démocratie française ", le peuple peut-il se réunir pour décider ?), et même, dépouillé des mots. Et pourtant, je ne suis pas du tout admirateur de Genet, et encore moins d'Ibsen ; mais en tant que théâtreux (Alain Badiou a d'ailleurs écrit plusieurs pièces), force est de reconnaître que, comme il cite ledit Ibsen, " L'ancienne beauté n'est plus belle, et la nouvelle vérité n'est pas encore vraie ".
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