Ces Possessions étaient prometteuses, mais à la réflexion ressemblent à beaucoup de films français actuels, dans le sens où le récit propose une idée de départ intéressante et s’en contente trop longtemps. L’idée : c’est Dieu qui raconte. Plus exactement, c’est AD, un universitaire borderline se prenant pour Dieu, qui raconte. Et c’est tout. On aura beau changer de narrateur à un moment, le journaliste qui assurera la narration ne fera qu’expliciter les questions posées par les deux premiers tiers du texte : « Comment AD a “lu” le monde de travers. Comment, pourquoi, il l’a perçu totalement déformé. Plié à ses visions délirantes. Comment AD s’est détourné vers un monde qui lui est propre, voilà ce que le journaliste aimerait bien comprendre, et comment il l’a projeté sur tout ce qu’il voyait, faisait. » (p. 103).
Mais « ce qui intéresse vraiment le journaliste » ne m’a guère intéressé sur la durée : AD est fou et devient dangereux, soit. La bourgade provinciale de M*** où il a échoué y est sans doute pour quelque chose dans cette folie, soit. Sa solitude est éclatante, soit. Et après ? Possessions laisse une impression d’inabouti.
Cela peut paraître étonnant de trouver qu’un tel roman, expérimental dans un sens, manque de partis pris, d’un regard ; mais c’est le cas. Ainsi la violence, qui a parfois l’air d’un élément du décor, ne donne-t-elle lieu à aucune véritable réflexion – sauf si on la lit, ainsi que le texte l’autorise quelquefois, comme un de ces trucs qui deviennent cool dès qu’ils sont exagérés dans le cadre d’une fiction. De même, le tableau d’une province chabrolienne imaginaire, que l’auteur semble imaginer plus vrai que nature, m’a paru d’autant plus raté que tous les personnages du roman – et l’auteur avec eux ? – le regarde de la même façon, c’est-à-dire comme l’esquisse d’un lieu mi-toxique, mi-risible, dont on ne peut s’échapper – intellectuellement – que par la violence ou la folie. Autrement dit, ce lieu est semblable à des milliers d’autres lieux de fiction.
À la rigueur, ce que Possessions propose en termes de réflexion est traité de façon si explicite que cela tombe à plat. Ainsi, ce portrait (ou autoportrait ?) fait par AD : « un personnage de roman : fictif au-dehors, vrai à l’intérieur » (p. 93). Ou encore ces considérations sur les « signes que le journaliste et les enquêteurs découvriraient sur les murs. Comme si ceux-ci étaient le prolongement de son récit [d’AD]. Son dernier acte : illisible, répugnant, mais répondant pourtant à une logique. Simplement, celle-ci était secrète, indéchiffrable » (p. 102). Merci de porter ce regard sur le personnage de fiction, merci d’insister sur la mise en abyme (le personnage laisse dans le réel les signes que l’écrivain laisse dans son texte) : en 2018, tout ceci est révolutionnaire !
Il y a tout de même dans le récit une forme de suspense qui, jointe à sa brièveté, donne au moins envie de lire la suite. Et un style parfois intéressant : « Ils [les humains] sont des moins-qu’existants, et il faut entendre ce “moins” de façon comptable : seul un pourcentage dérisoire de vie, d’esprit, leur donne haleine et mouvement et le zéro du petit tas de cendres négligeables, ou de la pulpe décomposée, vermoulue, qui restera de leur être illusoire après le bûcher ou la tombe, ce zéro-là sera leur dernier chiffre, comme on dit “un dernier mot” » (p. 33), élucubre ainsi le personnage principal.
Mais cette écriture tourne trop souvent à vide. Comme le dit le journaliste quand il étend la mise en abyme : « Il manque quelque chose, j’en ai l’intuition. L’essentiel. Quelque chose qui donnerait tout son relief à ce qui s’est passé là » (p. 99).

Alcofribas
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le 14 nov. 2018

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