Bon, j'avoue, j'ai un biais : je suis prof en REP dans le 93 depuis une dizaine d'années. Forcément, ce livre, et le portrait qu'il dresse de la "ZEP" de Drancy, m'a particulièrement parlé, et touché. Passons.
Il est difficile de parler de la banlieue (en fiction j'entends) sans tomber dans le fossé (blessant) du misérabilisme ou dans le gouffre (mortel) de la condescendance. Maryam Madjidi réussit à danser sur la ligne de crête, grâce à deux outils qu'elle manie avec brio : la fausse naïveté du regard (celui d'une enfant / adolescente) et l'humour.
Le fond du propos est parfois, voir souvent, glaçant : les portraits d'enfants maltraités, vivant dans des conditions déplorables, des "fous" qui ont été broyés par la bétonnière des "grands ensembles" , les violences subies par la narratrice, qu'elles soient symboliques (absence de modèles racisé.e.s auxquel.le.s elle puisse s'identifier, expérience de la classe prépa au lycée Fénelon... ) ou très concrètes (agressions sexuelles), ou même cet ennui lancinant qui revient si souvent dans le récit...
Et pourtant. On va être parfois dans la sidération : les faits nous sont livrés nus, sans violons, avec le langage d'une enfant qui étiquette le réel (un genre de conte d'apprentissage, façon Candide). On va parfois rire, tout simplement. Rire avec les ados et leurs blagues loufoques, rire des profs, rire de ces pédants du quartier latin (façon Rabelais). On va enfin être en colère contre le vrai séparatisme, celui des élites, contre ce mensonge revendu à toutes les sauces, celui de l'égalité des chances.
Mais on ne va pas pleurer, on ne va pas se moquer.
Bravo et merci, chère collègue.