Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Pour faire court, l’hypothèse défendue par Pourquoi l’art préhistorique ?, revendiquant le patronage de Mircea Eliade (p. 34), est la suivante : à la Préhistoire, « les pratiques artistiques se seraient développées dans le cadre d’une religion de type chamanique » (quatrième de couverture). N’étant ni préhistorien ni anthropologue, j’aurais bien du mal à me prononcer sur le fond ; mais en tant qu’homo sapiens (dans mes bons moments), je n’ai guère été convaincu.
D’une part, le chamanisme me paraît d’autant plus vague que l’auteur ne le cerne jamais précisément. On n’en trouve pas de définition claire dans l’ouvrage, et Jean Clottes met sur le même plan des pratiques religieuses encore d’actualité dans quelques endroits du globe et ce qu’il estime être des rites d’hommes du paléolithique sur quatre continents. Du reste, son évocation d’une cérémonie chamanique à laquelle il a assisté dans le sud de la Sibérie (p. 127-142) prend une allure de mauvais reportage de magazine à sensation, rubrique « Voyage » ou « Spiritualité » : un peu plus, et notre scientifique allait nous dire que l’esprit du Grand Mammouth lui avait parlé surgissant des flammes aux « formes étranges » (p. 130) qu’il croit voir sur une photographie prise à cette occasion…
D’autre part, et cette fois sans rapport direct avec le chamanisme, Pourquoi l’art préhistorique ? prend parfois la tournure agaçante des livres-dont-l’auteur-est-le-héros propre à certaines publications de scientifiques chenus : Jean Clottes comme chercheur incompris, Jean Clottes comme seul détenteur de la vérité, Jean Clottes qui occupe quatre pages et demie dans la bibliographie du livre de Jean Clottes, Jean Clottes comme globe-trotter qui vous passe ses diapositives de vacances… – la vue de la mouflonne qui « se laissa photographier lors de notre visite d’un site orné de l’Utah » (p. 92), indispensable ? Cette impression revient par intermittence au fil des pages.
D’une façon générale, le livre n’est pas immunisé à la fièvre interprétative qui touche plus d’un spécialiste de la préhistoire. Mais Jean Clottes la revendique d’entrée comme un parti pris : « L’alternative des pessimistes serait donc de se contenter de décrire “objectivement” des faits, voire des structures, et d’en tirer des explications immédiates les plus simples possibles. Non seulement cette position n’est pas satisfaisante par son manque d’ambition, mais surtout elle est dangereuse par son empirisme trompeur » (p. 19). Disons qu’ici la soif de savoir, tout honorable qu’elle soit, finit par déboucher sur ses contradictions : « Quant à la répartition et à la localisation des peintures, elles témoignent dans de nombreuses grottes de deux logiques différentes. Nous pourrions les qualifier de “logique du spectaculaire” et de “logique des lieux retirés” » (p. 175). Mieux vaut, parfois, continuer à utiliser sans doute, peut-être et probablement, et à conjuguer les verbes au conditionnel. (Il y a aux pages 220-221 un bel exemple de glissement abusif du conditionnel à l’indicatif.)
C’est que l’ouvrage tantôt défend une hypothèse, tantôt instruit le lecteur, c’est-à-dire balance entre l’essai et le documentaire, sans que l’on sache très bien si les faits servent la démonstration ou si c’est l’interprétation qui met en valeur les faits. Ce n’est pas le seul flottement de Pourquoi l’art préhistorique ?, qui parfois s’attarde longuement sur tel ou tel épisode – le coup de la mouflonne, oui… –, parfois opère des synthèses dignes d’un prof d’histoire de terminale le 12 juin, qui doit boucler la Troisième république, la Deuxième guerre mondiale et la Guerre froide avant le 13 juin.
En fait, l’ouvrage convainc le plus lorsqu’il s’éloigne de l’hypothèse du chamanisme. Ainsi, une partie du premier chapitre présente les différentes interprétations de l’art préhistorique formulées par les archéologues et les (pré)historiens de l’art, depuis la théorie de « l’art pour l’art » des débuts jusqu’au structuralisme de Leroi-Gourhan en passant par le « totémisme » et la « magie sympathique ». L’exposé, succinct, est aussi efficace que peut l’être l’exposé d’un auteur reprenant le développement d’auteurs qu’il a lus mais dont il ne partage pas les conclusions… (Dommage qu’il faille attendre la fin du livre pour lire que l’hypothèse du chamanisme n’exclut pas – ou pas entièrement, ou pas toujours – lesdites interprétations.) De même, on trouvera des réflexions intéressantes sur « quatre concepts majeurs » qui dirigent la vision du monde des « peuples traditionnels » (p. 151 à 157) – bien que là encore, l’expression peuples traditionnels ne soit pas définie – et quelques questions d’épistémologie bienvenues.
Bref, lire Pourquoi l’art préhistorique ?, c’est un peu comme manger un mammouth avec la peau.
Créée
le 11 janv. 2018
Critique lue 60 fois
1 j'aime
Du même critique
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...
Par
le 12 nov. 2021
21 j'aime
Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...
Par
le 4 avr. 2018
20 j'aime