Une histoire d’amour, entre lumière et ombre.

«Je suis le quatrième, le petit dernier. Le petit prince, l’élu de cette famille de quatre enfants. Choyé par mes sœurs et ma mère, admiré par mon frère taiseux.
L’élu, celui qui a fait des études. Celui qui n’a pas labouré la terre, son propre corps, par ce travail de forcené que lui mon frère, mon grand frère, a fait.
Comme un devoir pour mon île d’être digne du continent, le continent de la mère patrie. Fracassé à l’intérieur. Personne n’a vu.»


Enfant choyé d’une famille de bergers et de travailleurs agricoles, le seul de sa fratrie à avoir fait des études, le narrateur de «Première à éclairer la nuit» raconte son arrivée à Lyon pour devenir intendant du grand lycée de la ville, et l’histoire d’une passion amoureuse qui naît là, dans cette ville et sa presqu’île qui lui sont étrangères, le récit de tout ce qu’il va mettre en œuvre pour séduire la femme aimée avant qu’elle ne l’abandonne.


Le titre saisissant de ce premier roman, publié en 2016 aux éditions P.O.L., est tiré de la chanson Vénus d’Alain Bashung. La Vénus du roman de Jocelyne Desverchère est une femme mariée, Christine. Son bureau fait face dans le grand lycée à celui d’Antoine le narrateur, un homme solitaire et quasiment mutique, qui ressent pour elle, immédiatement, une passion violente.


«Je suis tombé littéralement amoureux, en amour total quand elle est arrivée.
Je ne me suis pas déclaré tout de suite. Elle m’intimidait trop.
Elle m’impressionnait. Cette femme m’impressionne.
Moi, je suis sous son emprise.
Quand elle s’adresse à moi, j’ai de la difficulté à la regarder dans les yeux, je souris malgré moi. Parfois pendant qu’elle me parle, elle s’interrompt, parce que j’ai le regard ailleurs sans doute, dans sa bouche, sur son front, la découpe de ses oreilles. Elle reprend la parole quand j’arrive à émettre un « oui » ou bien un « pardon » poli.
Je la voix en morceaux, fragmentée.
Je ne la perçois dans sa totalité qu’à une certaine distance.»


Avec sa langue dépouillée et ses phrases lapidaires – comme si prendre la plume était pour l’auteure aussi difficile que de prendre la parole pour son narrateur qui raconte l’histoire de cette passion et de son échec à la première personne -, ce roman frappe d’emblée par sa voix singulière, reflet du caractère peu liant de cet homme, incapable d’exprimer sa passion et fracassé à l’intérieur, évoquant la manière d’un Emmanuel Bové.


L’histoire est racontée de manière rétrospective et non linéaire, pour donner des aperçus, souvent ténus, sur la trajectoire de ce fils de berger timide mais instinctif, attentif à la lumière du soleil, aux éléments et à la musique, et capable de tout mettre en œuvre y compris des tactiques perverses pour séduire. Les personnages nous sont livrés sous la plume de Jocelyne Desverchère de manière délicate et ténue mais dans toute leur épaisseur, dans un roman qui réussit de bout en bout à faire sentir au lecteur, quasiment sans mots, le décalage entre l’amour et les illusions du narrateur et la probable réalité des sentiments de Christine, laissant pressentir une issue douloureuse et surtout profondément humaine, dans ses échelles de gris.


Jocelyne Desverchère sera l’invitée de la librairie Charybde (129 rue de Charenton, Paris 12ème) le 17 mai prochain en soirée, pour évoquer ce roman ainsi que «Simon», récemment paru chez P.O.L..


Retrouvez cette note de lecture sur le blog Charybde 27 ici :
https://charybde2.wordpress.com/2018/04/24/note-de-lecture-premiere-a-eclairer-la-nuit-jocelyne-desverchere/

MarianneL
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le 24 avr. 2018

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