Je continue sur ma lancée des œuvres des auteurs de la fameuse Beat Generation. Place à Neal Cassady, celui qui a « un rire de dément » selon les dires de son incontournable et cher ami, Jack Kerouac. Toutefois, avant de vérifier sa prétendue démence, j’ai voulu en savoir plus sur le personnage. C’est la raison pour laquelle je me suis d’abord attaqué à son autobiographie.


Bon, je suis très légèrement déçu pour la raison suivante : j’espérais en lire davantage sur ses rencontres avec tous les cinglés de la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg, Burroughs…). Cassady nous raconte surtout son enfance que l’on peut qualifier pour le moins de difficile.


Entre un père qui avait un sérieux penchant sur la bouteille (Neal lui-même n’était pas en reste à l’âge adulte) :


« Ces clins d’œil à répétition, ces regards où l’envie se lisait en grosses majuscules, autant que cet embrasement progressif de son visage, signifiaient, en réalité, que l’heure approchait où il allait enfin assouvir son inextinguible soif. Et ce, d’autant plus que, le samedi, toutes les conditions, quoique contradictoires, étaient remplies. Primo, le matin de ce jour-là, il se réveillait sans gueule de bois car, comme chacun a pu le vérifier, jamais, durant les années noires, il n’a manqué une seule journée de travail quand il s’en voyait proposer une ; et, secundo, aurait-il ou non gagné quelque argent le reste de la semaine et pris de l’avance sur l’horaire, ce n’était vraiment que le samedi soir qu’il se noircissait en conscience. »


Et une importante fratrie avec, entre autres, des frères violents, sadiques et cruels :


« Dans le décompte de ses tendances sadiques, sa haine toute-puissante pour les animaux tenait une place de choix. En cela, il n’avait fait que copier son modèle, Ralph, l’un de nos deux aînés. Mais, à quatorze ans sonnés, l’élève avait dépassé le maître qui n’avait jamais trouvé mieux, dans son désœuvrement, que de fourrer des chatons dans la cuvette des W.-C. et de tirer la chasse dessus, et désormais Jimmy avait su donner toute son ampleur à sa barbarie innée. »


Neal s’est construit en errant dans les rues, d’abord avec son père et ses acolytes alcooliques, ensuite avec ses amis, dérobant une voiture par-ci, faisant une halte en prison par-là, puis se saoulant dans un troquet pour oublier.


Neal a cette capacité à relater des faits innommables, mais avec un humour déconcertant ce qui lui permit, sans doute, de se détacher desdits faits. En voici un exemple :
29 août 2017


« C’est en revanche par une belle journée de mai que j’eus ma troisième révélation, de loin la plus importante. Comme je débouchais du terrain de base-ball et que je m’apprêtais à traverser la pelouse, derrière laquelle se profilait le réservoir de gaz, je fus interpellé par un maniaque sexuel assis sur le rebord du trottoir. La quarantaine longiligne, il me posa d’emblée la question suivante : « Ça te dirait que je te donne quelque chose à sucer ? » « Quelle chose ? » lui demandai-je. « Une chose qui te restera longtemps dans la bouche », dit-il. « D’accord. » « Mais d’abord, enchaîna-t-il, laissons passer tes copains d’école, inutile de faire des jaloux. » Ça me parut logique, aussi m’assis-je à côté de lui et, pendant une demi-heure, l’écoutai-je me vanter les qualités de cette chose merveilleuse que tous les enfants aimaient sucer, en particulier les gosses de Curtis Street. À l’en croire, elle avait le goût de la fraise quoique sa grosseur la rendît difficile à lécher ; à ces mots, je l’interrompis, voulant savoir si elle coûtait plus cher qu’un penny, et aussi, me semble-t-il, comment il pouvait m’offrir une chose qu’on ne trouvait pas à la confiserie de Welton ; à quoi il rétorqua que la sucette extra-large dont il allait me régaler ne se comparait à rien de ce qui se vendait dans le commerce. Cette conversation se poursuivit ainsi jusqu’au moment où, prenant conscience de l’heure et impatient de reprendre ma route, je lui réclamai mon dû. (Entre parenthèses, il est clair que je n’avais pas une seconde deviné le genre de douceur qu’il me réservait.) Comprenant que je n’attendrais pas plus longtemps, et jugeant en conséquence qu’il était temps de passer à l’acte, il me confia que la chose en question était bien à l’abri dans un box, juste derrière le temple réservé aux Noirs, et il se proposa de m’y conduire. Mais à présent j’hésitais, craignant qu’en ajoutant du retard au retard je ne me fisse enguirlander, et pourtant je le suivis jusque dans un endroit reculé où, sitôt la porte claquée, il m’entraîna dans un recoin, comme s’il voulait éviter que ma mauvaise volonté ne se transformât en farouche résistance. Puis, d’une voix nouée par l’émotion, il commença de me bercer de paroles lénifiantes mais, se rendant compte que j’y étais insensible et suffisamment tendu pour lui filer entre les mains, il se débraguetta d’un geste rapide et m’exhiba la « sucette ». D’instinct, je sentis qu’il fallait ruser et mis un genou à terre comme si j’acceptais de me soumettre – pour dire vrai, la déception autant que le sentiment d’avoir été piégé m’avaient tout de même assommé, bien que je restasse au fond de moi persuadé que je finirais par lui échapper –, et donc, accentuant encore ma fausse docilité, je me laissai complètement tomber à ses pieds et me concentrai sur le moment opportun où je pourrais bondir, me ruer vers la sortie et disparaître, et ce avant que se dresse devant moi la chose effrayante qui se tortillait entre ses cuisses efflanquées dont il ne saurait alors plus que faire. »


Pour finir, on ne peut pas ne pas retrouver le style « à la Proust » qui saute aux yeux dès les premiers paragraphes : des phrases à rallonges, ponctuées dans tous les sens, mais avec un verbe des plus simples.


Je n’ai qu’une hâte, c’est de lire d’autres choses de lui !

didizimzim
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le 5 sept. 2017

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Dmitri Fantski

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