Difficile de résister à cet album clinquant et abondamment coloré, mais au final, c'est une réussite mitigée. J'ai eu l'impression qu'on essayait de me vendre un nouveau prototype de Princesse, Verte et technophile, mais sous le vernis , on a les même failles qu'auparavant et pour le côté environnement, c'est vraiment raté.


Vous l'aurez comprit au titre doublement technophile , entre le "#" et le "2.0", on veut moderniser la princesse de conte en lui donnant une nouvelle saveur techno, verte et sans princes. Un objectif noble, mais partiellement aboutie, en fait. Voici pourquoi, selon moi.


Cet album se veut une promotion pour les gestes éco-environnementaux, ça, c'est martelé de A à Z dans le récit. Pourtant, cet album est un gros format de 25 cm par 33cm, en couverture rigide, doublé d'une jaquette, lui-même doublé d'un bandeau, sur pages argentés. Ce livre "vert" est donc suremballé et aura nécessité beaucoup de matériaux neuf et couteux. Le livre ne suit pas ses propres conseils.


Côté histoire, nous avons d'abord le personnage principal au nom assez moche de "Zérogaspi". Ses robes sont recyclés et couvertes de plantes, ce qui est soit est un vrai paradoxe: si on ne veut pas gaspiller, comment expliquer la quantité colossale de fleurs coupées juste pour ses robes? Ensuite, c'est une vraie beauté aux yeux verts, maigre, grande et aux cheveux longs. L'archétype de la princesse de conte tourne toujours autours ce pivot central: une princesse moche, ce n'est pas "vendeur". Pourtant, si on voudrait réellement briser le stéréotype de la princesse, on aurait du viser davantage son physique. Mais non, ici c'est une superbe fille de 18 ans, trop mince, caucasienne, aux grands yeux et aux joues roses. Rien de nouveau en somme. On tente de nous la présenter en fille "conscientisée", donc portée sur le recyclage, sur la réduction des matériaux plastiques, sur les produits en vrac et c'est bien, je ne dis pas le contraire, c'est même l'élément le plus intéressant! Ça et ses panneaux solaires sur le toit du château...oh. Le château. Parlons-en! C'est bien joli cette histoire de réduire et de poser des gestes pro-environnement, mais en fait, vivre dans une maison MOINS GROSSE aurait vraiment plus d'impact que de rester dans un immense palace. Et lors de son anniversaire, elle reçoit des tonnes d'objets inutiles ( robes, bijoux, gadgets techno), ce qui vient de réduire à néant ses beaux efforts de réduction.


Il est un peu là le problème, cet album pose des bases sur l'environnement, mais à moitié et de manière trop "gentille". Je n'ai pas l'impression qu'on veut vraiment biser le moule de la princesse autant qu'on veut au contraire la remettre à l'ordre du jour en nous faisant croire qu'elle est "moderne et verte", alors que visiblement, elle a un chemin énorme à parcourir.


Et ça ne s'améliore pas par la suite. La princesse reçoit ses "amies" pour son giga-party d'anniversaire. On a la princesse Hight-Tech, qui est technophile et ingénieure ( je suppose, elle conçoit des robots), la princesse Zénitude, qui fait du yoga, la princesse influenceuse, star des plates-formes, et ...la princesse cuisinière?? En quoi est-ce moderne? C'est au contraire le plus vieux rôle du monde! On aurait pu faire tellement plus moderne que ça : entrepreneur, médecin, avocate, scientifique, politicienne, boxeuse, athlète....mais cuisinière? Complètement à côté de la plaque.


Mais le pire est que si on regarde vraiment la cuisinière, vous noterez que c'est la seule princesse à la peau foncée. C'est assez bas comme idée quand on connait l'historique des servantes racisées. Et la "technophile" est asiatique ( c'est un cliché ça). Et l'influenceuse, de loin celle que je déteste le plus dans cet album, est une blonde à peau de porcelaine vêtue de rose. Une Barbie. Ai-je besoin de spécifier à quel point c'est un cliché? Et à quel point le rose est LA couleur qui colle à la peau des filles? Donc, sur les cinq, c'est encore la blondouille rose qui a le podium des médias. Affligeant.


Dans l'histoire, il y a deux moments importants: quand le beau prince blond Sanréseau ( mais quel nom horrible!) donne un livre sur les plus beaux paysages du monde à Miss Écolo pour sa fête. Et en entendant de ce même prince que le monde court à sa perte ( 18 ans, mais pas au courant que les changement climatiques menacent la planète, faut le faire quand même!) son idée pour changer les choses? FAIRE-DES-BONNES-NOUVELLES. Ah. Pas de financer des organisations environnementales, participer à la plantations d'arbres ou un truc UTILE, non, faire une chaine youtube de nouvelles positives. Sans contester la porté "joyeuse" de cette idée, je m’interroge: cinq filles héritières de leur pays ( parce c'est ça une princesse après tout) et c'est tout ce qu'elle trouve? Pas de lois, pas de réformes, pas de politique? Au fond, quelle est la différence entre l'inutilité des princesses Disney et ses cinq Princesses2.0 ? Pas grand chose, hélas.


Et la fin est encore pire: les cinq princesses décident de voyager de part le monde pour "montrer les beaux paysages menacées". En fait, depuis l'avènement Instagram, certains spécialistes expliquent que plus on montre un lieu sur les plates-formes sociales, plus celui-ci sera envahit de touristes par après et ces même touristes, par leur nombre et leur négligence, détruisent le lieu. Ce fut le cas d'un champ de coquelicots en France, aujourd'hui rempli de trous et de rigoles causés par le piétinement des touristes. Alors l'idée des Cinq fille est totalement contre-productive , voir néfaste. Et donc, inutile. Concrètement, et ce en dépit de ce que veulent faire croire les autrices, ces cinq n'auront rien changé et les méthodes qu,elles utilisent sont purement et simplement utopiques.


Cet album est donc un bel appât pour les lecteurs, parce que les dessins sont réellement très beaux. Cela dit, on en réinvente pas vraiment les princesses, on reste dans les mêmes carcans de beauté, d'actions pas très utiles, de vie de château et de robes magnifiques. Côté environnement, c'est assez raté. Les meilleurs moyens de lutter contre les changements climatiques n'apparaissent même pas, troqué pour des petites actions assez insignifiantes, toute proportions gardées. "oui, mais au moins, les petites filles vont apprendre des choses sur les actions à poser pour sauver la planète". Partiellement, puisque c,est incomplet et ce qu'elle vont surtout voir, c'est la technologie abondamment abordée ( et qui d'ailleurs pollue énormément pour sa conception) qu'être une princesse c'est être BELLE et que tous les problèmes vont être réglés super facilement grâce au pouvoir du positif et des vidéos et d'Instagram, par 5 filles de riches. Ouch.


Le seul point positif que je lui trouve à cette histoire est le fait que les princes ne sont pas là...ah, non il y en a , c'est vrai, Sanréseau, sa crinière blonde et son "tu es naïve" lancé à Miss Écolo.


Cet album me semble être une sorte de mauvaise blague, qui se donne des airs "vert" et féministe, alors que ni l'un ni l'autre n'est abordé correctement. Il y a même des éléments assez caricaturaux avec Miss Barbie et Miss Cuisinière. En fait, ce que j'ai surtout retenu de cet album, c'est que la princesse moderne vit des réseaux sociaux, poursuit son train-train royal et est incapable de mettre des actions ou des politiques propres à changer réellement les choses. Ce ne sont pas des meneuses.


Ce n'est pas parce qu'on change le glaçage d'un gâteau que ça en fait une nouveauté: c'est exactement le cas pour ce livre. En un mot: décevant.


Voici quelques bons albums sur les princesses réellement modernes et l'environnement:


-La petite lectrice, "Éditions Gauthier-Languereau, 9782017087212 ( Thème de la princesse moderne)
- Tigre apprend à recycler, Éditions Bayard, 9782897703516
-P'tit loup sauve la planète, Éditions Auzou, 9782733883235

Shaynning

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