La prison ou les "camps" de concentration français.

Il y a une sorte d'auteur, pas si rare dans cette drôle d'engeance, qui s'écoute écrire comme d'autres se gargarisent d'une autosatisfaction replète avec une forme légère d'arrogance d'autant plus dérangeante qu'elle n'est fondée que sur un talent, sinon inexistant, du moins fortement sujet à caution. Fahrad Khosrokhavar est peut-être ce que l'on peut faire de pire en matière de ventilateur brasseur d'air, d'aérateur à vide ou de créateur de pseudo-études sociologiques (et même anthropologiques écrit-il!) qui n'ont de scientifique que le nom. Et pour ce qu'il s'agit d'une éventuelle réflexion philosophique : autant aller chercher une paire de neurones dans un meeting du Rassemblement National à Hénin-Beaumont, tâche qui est étonnamment plus simple tant Khosrokhavar enfonce les portes ouvertes, enfile les lieux communs comme des perles ou réinvente l'eau chaude à chaque page. Non pas que le livre ne soit pas intéressant, ou que le travail colossal entrepris par l'auteur ait été bâclé, ce serait d'ailleurs faux et un peu de mauvaise foi que de l'affirmer. Les témoignages, les thèmes évoqués ainsi que la méthode sont irréprochables et constituent la marque d'une forme de déontologie de recherche pour le moins sérieuse. Je n'ignore pas non plus la réputation de l'auteur, qui dispose d'une réelle expertise dans la radicalisation ou l'histoire de l'Iran, et suis obligé de reconnaître ses talents de styliste. Pourtant, non seulement j'ai eu la désagréable impression de lire quarante fois la même chose, mais j'ai surtout eu la sensation d'avoir en face de moi une compilation thématique façon catalogue de témoignages maquillée d'un vernis sociologique et commentée avec une emphase qui cache mal la fragilité des thèses défendues, exception faite des pages sur la radicalisation pour lesquelles il faut reconnaître une certaine acuité, voire une finesse d'esprit. En fait, l'inanité de Prisons de France réside dans son préalable, son axiome qui est également sa méthode et sa fin. Pour Fahrad Khosrokhavar, la prison n'est pas signifiante en elle même mais n'est que l'une des composantes, l'uns des échelons, de forces politiques supérieures à elles et qui la transcendent : la politique carcérale, la religion, la radicalisation, l'anomie, la misère sociale, l'ethnicité, la misère affective et sexuelle sont des énergies qui traversent la prison, la composent et s'y cristallisent. Soumise à des causes externes, la prison ne serait qu'un incubateur à turpitudes sociétales extérieures.


Partant de là, Fahrad Khosrokhavar en tire une conséquence aussi lourde de sens que vide de sens : les détenus et les surveillants sont des victimes à égalité de forces qui les dépassent, et contre lesquelles la prison ne peut rien et n'est que le miroir parfait. Les détenus et les surveillants ne se comprennent pas car ils sont, d'après l'auteur, sujets à une suraffectivisation et à une surinterprétation permanente. Ainsi donc, la prison n'est pas mauvaise en soi et ne constituerait pas un lieu ontologique de pouvoir. D'ailleurs, l'auteur ne cache pas ses arrières pensées qu'il écrit à la fin du livre : selon lui, la prison est un mal nécessaire en démocratie et ne peut pas ne pas être. Mais alors, quid des abus de pouvoir ? Des humiliations institutionnelles, légales et arbitraires (fouilles intégrales injustifiées, vol d'effets personnels, insultes, ...) ? Des passages à tabac orchestrés par les surveillants ? Des disparitions de lettres et des sanctions disciplinaires abusives ? De la pression sur les psychiatres afin qu'ils servent les intérêts de l'institution ? Du racisme et du vote RN surreprésenté dans les forces pénitentiaires par ailleurs assez médiocrement diplômé ? De l'insécurité, l'insalubrité et l'arbitraire des conditions de détention dénoncés par les instances supranationales ? Pour Fahrad Khosrokhavar, circulez, il n'y a rien à voir. Ce n'est même pas si l'auteur n'insinue pas que soulever ces questions sont au mieux des théories du complot, au pire des théories d'extrême gauche ou salafistes. En affirmant que la prison et ses agents sont victimes, à peine des acteurs de dons et de contre-dons, concepts à peine compréhensibles par le commun, qu'ils ne commettent aucun impair, l'auteur se rend complice d'un lobby pénitentiaire plus qu'archaïque. Que Louk Hulsman doit se retourner dans sa tombe! En plaignant ces pauvres surveillants, en relayant leurs idées nauséabondes, souvent racistes et autoritaristes qui caractérisent un certain pan de l'opinion et de l'échiquier politique, notamment en ce qu'il s'agit des prétendus droits croissants des détenus ou de la perte de pouvoir des surveillants qui ne peuvent plus, les pauvres, gérer seul la prison en mettant en place des châtiments corporels ou des sanctions disciplinaires infondées, l'auteur démontre une certaine pleutrerie qui d'ailleurs se révèle beaucoup dans le cadre de ses entrevues. Quand les détenus lui racontent une bavure, il relativise. Quand les surveillants racontent une bavure, il opine du chef. Et quand une psychiatre confesse qu'après avoir libéré un détenu du mitard, les surveillants ne sont pas intervenus volontairement lors de son agression, on n'entend plus le brave Fahrad Khosrokhavar. Il fut un temps où les intellectuels analysaient la prison comme une conception réelle de pouvoir, à l'instar de Michel Foucault et cherchait à l'abolir. Non, notre bon Fahrad veut simplement l'humaniser, rentrant dans le camp de ceux qui, au temps de l'esclavage, voulaient adoucir la servitude plutôt que de l'abolir.


Pourtant, Fahrad Khosrokhavar a en face de lui les témoignages de l'horreur de ce qu'est la prison. De cette angoisse existentielle qui détruit et brise les vies, de cette violence et de cette humiliation permanente allant se loger jusque dans les anus fouillés des détenus, de cette surpopulation contraire à toutes les libertés fondamentales, de son action néfaste pour la rédemption et la récidive, de cette misère sexuelle qui frustre et annihile le corps, du sadisme d'agents publics médiocres aux vies ratées. Les prisons sont des hôpitaux psychiatriques à ciel ouvert : 3,5% des détenus sont schyzophrènes, 18% sont dans un état dépressif, 12% dans un état anxieux généralisé et un tiers en situation de dépendance. Le taux de suicide en prison est neuf fois plus élevé que dans la vie courante. La prison n'est pas émancipatrice : les ethnies se rassemblent et se détestent, la religion prend une place phénoménale pour organiser la vie des détenus, une aristocratie salafiste et du grand banditisme se forment et est un lieu de pouvoir permanent où chaque mouvement, chaque parole, chaque groupement devient prétexte à des luttes de pouvoir permanentes. Loin de se rassembler pour se révolter et défendre leurs intérêts, les détenus sont piégés par les surveillants qui les dressent les uns contre les autres, par un système d'auxi (on pourrait dire Kapos) népotique, par une médiocrité intellectuelle entretenue par l'ambiance carcérale et par une emprise sur les esprits d'une religiosité ultra radicale, savamment maintenue par l'Administration pour faire régner l'ordre, et par la mobilisation des thèses d'extrême droite. Dans cette ambiance d'Etat arbitraire dans l'Etat de droit, cours de récréation de sadiques patentés et d'esprits malsains en uniforme, Fahrad Khosrokhavar interroge des gens qui comprennent mieux que lui le rôle de la prison et confirme par son discours de collaborateur les illusions des radicalisés qu'il prétend combattre. Jamais je n'avais été aussi loin de penser que ces gouges soient des lieux de réhabilitation, jamais un auteur n'a été aussi loin de son sujet.

PaulStaes
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le 11 févr. 2021

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