Dopé aux chiffres, manque un peu de mise en perspective.

Journaliste ayant grimpé quelques échelons à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet, bon connaisseur de l'Asie, avait déjà écrit un livre intitulé Quand le Japon achète le monde dans les années 1990. Son livre dresse une sorte de bilan de la frénésie des investissements de la Chine à l'étranger, en laissant également la place à quelques considérations d'ordre culturelles et géopolitiques.


Attention cependant, car vous allez être matraqué de chiffres. Sur le PIB, les IDE, la réserve monétaire, etc... C'est parfois assez indigeste, et à quelques endroits, on trouve des coquilles (Givreaux au lieu de Griveaux), mais aussi quelques phrases obscures, qui font que j'ai dû relire plusieurs fois avant de me rendre compte que oui, tel passage était écrit à la va-vite (p. 103, à propos de l'Indonésie : "le gouvernement américain était satisfait de voir les Soviétiques continuer de livrer des armes aux militaires indonésiens qui se battaient avec succès contre les communistes indonésiens. Le dirigeant Sukarno avait essayé de contrebalancer les militaires indonésiens contre les communistes. Mais l'antagonisme entre les factions était trop fort").


Il serait cependant injuste de dire que l'ouvrage est mal écrit : il est rédigé dans cette langue limpide, aseptisée, et stimulante qui est celle des rapports de l'ONU ou des dépêches AFP. Tout de même, un relecteur de plus n'aurait pas été de trop ; en termes de fluidité de style, on peut trouver quelques défauts.


L'ouvrage a été écrit par un journaliste et non par un chercheur, et de fait on a davantage l'impression d'avoir affaire davantage à une fort pratique compilation de tous les articles parlant de rachats et d'investissements par des fonds chinois de ces dix dernières années qu'à un véritable ouvrage. Il n'y a pas de vision particulière de la Chine, même si la conclusion, qui ne doute pas que l'Empire du milieu supplantera un jour les Etats-Unis, rappelle opportunément qu'une libéralisation politique n'est pas à l'ordre du jour, ce qui pourrait remettre en cause la défense des droits de l'Homme à l'échelle mondiale. ça se voit déjà, me direz-vous.


Le livre se lit fort rapidement (je l'ai lu en une après-midi), puisqu'il fait 170 pages, avec des chapitres courts, d'une dizaine de pages. Je ne pense pas qu'il plaira aux chercheurs, qui n'apprendront rien, mais plutôt au public éclairé, aux étudiants de licence et aux profs de géographie.


Au fond, c'est assez simple à résumer. L'endettement de l'Etat (à plus de 280% du PIB, dont on ne parle jamais) fait fuir les investisseurs chinois, qui se rabattent sur l'étranger par peur (justifiée) d'un retournement de conjoncture. Encore nouveaux sur ce terrain, et friands de nouvelles technologies et de management, ils investissent au petit bonheur, souvent de manière pulsionnelle, dans des secteurs sûrs, prestigieux ou liés au développement de la classe moyenne chinoise. On perçoit quelque chose, dans ce livre, de la fascination que peut exercer ce développement hors-norme, foisonnant et accéléré.


L'ouvrage est aussi intéressant car il souligne, quoique trop brièvement à mon goût, les ambiguïtés de la position chinoise : on se souvient que Xi Jinping s'était posé en chantre de la mondialisation au dernier Forum de Davos, histoire de marginaliser Trump, alors que son pays maintient de nombreuses barrières douanières, une soixantaine de secteurs d'activités "stratégiques" restant fermés aux investissements étrangers.


Ha, et la prochaine fois que quelqu'un justifiera devant vous les politiques de restrictions budgétaires actuelles, parce que "on est trop endettés, il faut gérer en bon père de famille, c'est une simple question de bon sens holala".... Ben faites-vous plaisir et rappelez-lui que la dette chinoise correspond à 230% du PIB du pays. Ce qui fait un nombre non négligeable de dollars.


On ne démontera jamais assez le mythe du libre-échange, et de ce point de vue la Chine est un exemple parfait, puisqu'à l'image de la Corée du Sud, elle s'est imposée comme une puissance économique en Asie contre toutes les recommandations du FMI d'abaissement des barrières douanières. On aurait aimé un peu plus de mise en perspective, de comparatisme. Ce n'était pas le projet de l'auteur, m'objectera-t-on peut-être. Soit.


Quoi qu'il en soit, l'ouvrage propose des mises au point bienvenues sur de nombreux points, comme l'interdépendance mâtinée de rivalité feutrée avec les Etats-Unis. Voici le sommaire, qui donne un bon aperçu du contenu :


1 - L'ouverture fulgurante de la Chine depuis 1978.


2 - Un état des lieux de l'économie et de la politique chinoise.


3 - L'émergence d'une classe moyenne.


4 - Des achats immobiliers remarquables bien que discrets.


5 - La colonisation économique de l'Afrique.


6 - La Chine s'introduit en Amérique latine.


7 - Le couple infernal sino-américain.


8 - L'Europe, première cible des investissements chinois.


9 - La France intéresse tout particulièrement la Chine.


10 - Dans le collimateur, l'Asie.


11 - Pékin et le sport business


12 - La direction chinoise veut freiner les acquisitions.


13 - La dépendance de l'économie chinoise.


14 - L'essor du tourisme, le rachat du Club Méditerranée.


15 - Amazon et Alibaba, un match de géants.


16 - Les acquisitions étrangères en Chine.

zardoz6704
6
Écrit par

Créée

le 5 janv. 2019

Critique lue 81 fois

1 j'aime

zardoz6704

Écrit par

Critique lue 81 fois

1

Du même critique

Orange mécanique
zardoz6704
5

Tout ou rien...

C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...

le 6 sept. 2013

56 j'aime

10

Black Hole : Intégrale
zardoz6704
5

C'est beau, c'est très pensé, mais...

Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...

le 24 nov. 2013

43 j'aime

6

Crossed
zardoz6704
5

Fatigant...

"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...

le 4 mai 2014

42 j'aime

60