Ton neutre et volontairement indépendant, complet
Ce qui m'a d'abord frappé dans ce livre, c'est la volonté de son auteur a garder un ton le plus neutre possible, s'affranchissant d'une part de toute récupération politique et idéologique, mais aussi sa volonté d'étudier toutes les faces du problème, y compris de replacer la victime au centre du débat.
Il parlera évidemment des problèmes liés à certaines affaires médiatisées ou trop peu, sans pourtant en faire une apologie du voyeurisme. J'ai donc apprécié une approche différente d'un livre comme "La France Orange Mécanique", volontairement visuel et choquant. (dans le déballage des faits ou dans ses propos volontairement border-line sur l'immigration)
Xévier Bébin offre donc une critique complète mais objective. Il dénoncera le corporatisme ou le manque de hauteur des juristes en général tout en gardant à l'esprit le carcan ultra rigide imposé par la loi.
Il recentre aussi le débat autour d'une vision très limitée et stéréotypée sur les grands poncifs de l'état de la Justice Française. Il s'attaque avec justesse par exemple au "Tout Carcéral", une idée qui a la vie dure. Il remet également à plat les idée concernant le fait que l'incarcération endurci les petits délinquants aux rudiments du grand banditisme.
Tous les articles sont consultables, les chiffres également. Les références sont on ne peut plus sérieuses : ONDRP, inspection générale des services judiciaires, annuaire statistique de la Justice de 2010...
On y apprend ainsi que pour 1 400 000 personnes déférées devant les tribunaux, 122 000 peines de prison ont été prononcées, soit 8.71% des comparutions. 80 000 de prison sont en attente d'exécution et 90% d'entre elles vidées de leur substance par les Juges d'application des peines, voir carrément annulées pour 20 000 d'entre elles.
On y apprend que les délinquants condamnés et finalement écroués sont pour la plupart des multirécidivistes. Une loi de Pareto montre que 5% des détenus sont responsables de 50% environ des dégradations les plus pénibles pour la société et que le coût de la délinquance représente environ 80 millions d'euros par an.
Face à un autre préjugé, selon lequel la pauvreté crée la délinquance, l'auteur donne une vision claire. Dans le Cantal, l'Aude, Les Pyrénées - Orientales, La Creuse... Et la Seine-Saint-Denis, le taux de pauvreté monétaire est de 18%. Pourtant le taux de délinquance n'est pas le même.
Et ainsi de suite. On passe en revue de nombreuses idées reçues dans un style aéré et toujours basé sur la nécessité de rester vigilant par rapport à l'information ou le chiffre brut.
On écarte donc d'emblée les théories fumeuses et les adeptes de la théorie du complot. Mais l'auteur va plus loin qu'un simple constat courtois et une critique profonde de la Justice. En tant que membre de l'association "Institut pour la Justice", il propose des solutions, basées sur des collaborations avec des juristes (juges, avocats, proccureurs) mais aussi avec des Criminologues, des psychologues, psychiatres, association de défenses des victimes...
Les principales tournant autour d'une Justice exemplaire, rapide et systématique, assumant son rôle dissuasif et efficace. Face a un manque de place endémique de places de prison, créant un sentiment d'impunité mais également des conditions de détention inadéquates. 63000 places à terme pour un besoin de minimum 80 000.
Mais l'auteur propose aussi de meilleures formations en criminologie des Juges, encore trop axés sur une seule connaissance des arcanes législatives.
La critique sur l'inefficacité des Juges d'application des peines, bien qu'évidente, se termine par un recentrage de leur activité, qui aujourd'hui ne sert qu'à donner une seconde interprétation d'un jugement, est intéressante.
Xavier Bébin propose par exemple une meilleure utilisation du bracelet électronique, utilisé dans moins de 5% des cas, ou pour les cas les plus graves, d'une meilleure utilisation des traitements médicamenteux et des suivis psychologiques.
Il se pose également la question de l'intérêt de syndicats de Juges, avouant publiquement leur défiance sur la transmission d'information à leur propre ministère, mais aussi sur leur appartenance politique.
Enfin, la question se pose sur l'autonomie de la Justice par rapport à ses ayant droits : nous, les citoyens. Les dérives des parquets, complètement déconnectés des besoins de la Société, avec ses dérives incroyables, provocant des vagues de consternation chez les Policiers et au Ministère de l'intérieur.
Les questions posées sont intéressantes, souvent ouvertes, mais jamais stigmatisantes. On pourra donc avoir plusieurs sons de cloches, tout en gardant évidemment l'argumentaire principal, mais j'ai apprécié la volonté de l'auteur de ne pas tomber dans le sensationnalisme et la facilité.
A lire définitivement pour éclaircir de nombreux points, y compris techniques, mais toujours expliqués avec ouverture et avec un vrai talent d'écriture. Mais j'insiste sur ce point : sans prosélytisme ni sensationnel.