Paru en mars 2015 chez Quidam éditeur, «Quelques femmes» rassemble seize textes courts en prose du poète grec Mihàlis Ganas traduits par Michel Volkovitch, seize instantanés vécus ou rêvés, des femmes saisies par l’imagination d’un homme en seulement quelques pages.
Ces instantanés ne sont rien de moins que la naissance de la fiction, dont l’intensité laisse imaginer un récit beaucoup plus vaste, et dont on observe le jaillissement à partir d’un détail, d’un geste ou d’une phrase de chacune de ces femmes, qu’elle soit une créature superbe, une princesse gloutonne ou une vieille femme hébétée d’en être arrivée là.
«Elle regarde ses mains. Comment sont-elles devenues ainsi ? Toutes ces veines, ces taches, ces rides sur ses mains, comment sont-elles venues ?
Soixante-dix ans qu’elle les promène sans jamais y avoir posé les yeux. Ni quand elles étaient fraîches, puis mûres, puis flétries, ni maintenant, desséchées.
Pendant toutes ces années elle se souciait d’autre chose : ne pas se couper, ne pas se brûler, ne pas se piquer, ne pas en faire trop le soir avec son mari – quand c’était l’occasion, pas souvent – de peur d’entendre encore ses mots, lui crevant le cœur, «Mais ou donc as-tu appris ça, femme ?»
Elle regarde ses mains comme si c’était la première fois. On dirait des étrangères, posées ainsi, oisives, sur le tablier noir. Des refugiées. Elle a envie de les caresser.» (Elle regarde ses mains)
Tendres, parfois drôles, souvent mélancoliques, ces portraits esquissés à partir d’une réplique acérée, d’un geste déplacé, d’une pose pleine de grâce ou d’un rêve de noyade, ne laissent qu’un regret, celui d’un songe dense trop vite interrompu.
«"Sau-ve-moi" articule-t-elle sans le moindre son, tandis que sa tête disparaît sous l’eau un instant puis remonte comme une femme née des eaux, peu à peu, lentement, d’abord les cheveux en cascade blonde, puis la tige du cou et les épaules superbes qui brillent à la lumière du matin et la montée continue jusqu’aux seins immatures et leurs tétons, deux grains de café torréfiés.» ("Sau-ve-moi" articule-t-elle)