L’école, quelle aventure ! Un livre formidable sur le bonheur d’enseigner.

Dans ce premier livre paru en avril 2019 aux éditions du Seuil, Alexis Potschke, jeune professeur qui enseigne le français dans un collège de grande banlieue parisienne, porte un regard sensible et salutaire sur des élèves dits difficiles et souvent trop vite jugés, en rappelant qu’ils ne sont pas qu’élèves mais aussi des enfants – dont la langue maternelle n’est souvent pas le français, des enfants dont le comportement dans l’enceinte du collège (vu par les yeux attentifs et bienveillants de l’auteur) force souvent le respect face aux fossés du langage et des cultures, face aux aprioris des pères envers l’éducation des filles, etc. En les regardant vraiment, l’auteur change le regard sur les enfants, au-delà d’une image monolithique et déplorable des élèves « de banlieue » si facilement véhiculée par les média.


J’aime flâner au collège lorsque je n’ai pas cours : boire un café en salle des professeurs où les copies s’accumulent, passer au CDI voir ce qu’il s’y trame, aller m’asseoir dans le bureau de la CPE pour y voir défiler les élèves en retard, les élèves exclus, et le ballet des surveillants qui collectent les billets d’absence. Depuis le bureau de la CPE, on peut, collé aux larges fenêtres, regarder les élèves qui, dans la cour, ne font rien mais avec beaucoup de sérieux, comme si ne rien faire était très important – ça l’est probablement.


Là où Mathilde Levesque (LOL est aussi un palindrome) témoignait de la répartie de ses élèves de manière savoureuse et poignante, Rappeler les enfants compose, en un enchaînement vif de courts chapitres, une mosaïque de moments de vie à l’école et surtout de portraits d’enfants attachants ou compliqués, des trajectoires parfois douloureuses voire tragiques, comprises ou juste entrevues par leur professeur. Majda l’italo-algérienne qui débarque à l’école à 11 ans comme sur une autre planète, car elle ne parle pas un mot de français, Pierre-Alexandre le colosse désespéré quand il fait usage de sa force, Sidi l’hyperactif qui, quand il explose, ressemble à un enfant ivre, Salomé qui secoue la masse noire de ses cheveux en même temps que les grandes questions qui l’agitent, la toute-petite Elsa avec sa voix-pâte d’amande et son espèce de rage poétique sur la scène du théâtre, ces portraits révèlent le génie des enfants, mais aussi les maltraitances ou croyances néfastes qui leur pèsent tant, comme Dounia qui voudrait qu’on lui crie dessus pour qu’elle comprenne le cours.


Davantage encore qu’une volonté, on perçoit dans le livre d’Alexis Potschke la nécessité de témoigner du parcours de ces enfants et du désarroi et des joies de l’enseignant. Avec ses courts chapitres, au fil de la répétition des cours, des instantanés des élèves qui passent et grandissent, de la succession vite installée des rentrées et des mois de juin où peu à peu la classe s’effiloche, Rappeler les enfants impressionne aussi par sa justesse à saisir le passage du temps et la mélancolie ou l’émotion du professeur lorsque, chaque année, l’année scolaire se termine.


Les classes se sont vidées ; Mélanie est partie en vacances, Dersim fait croire qu’il l’est lui aussi même si l’on croise encore sa petite sœur devant la gare ; et Charles, c’est à peu près certain, ne viendra plus lorsque Salomé à son tour s’en ira.
Tout cela est arrivé sans que l’on s’en rende compte. Les élèves semblent s’ébrouer aussi : la fin d’année les surprend comme les phares des voitures dans la nuit surprennent les animaux. Un jour il devient évident que le lendemain ne sera pas de la même teneur.
Les professeurs errent dans les couloirs ; des piles de manuels se sont accumulées dans les salles ; des oasis de présence subsistent mais le collège s’est habillé trop grand. Il ressemble à une ville à l’approche d’une armée ; l’orage gronde et tout le monde vole bas.


Au-delà des instantanés de l’école, ce livre témoigne du chemin d’un professeur qui cherche et trouve pour chaque élève (ou presque) des manières de se parler, de se faire comprendre et donc de faire apprendre, en donnant l’envie de lire, y compris aux réfractaires, en réussissant à construire une relation authentique. Il témoigne d’une très belle manière de la réalité d’une école qui fait grandir le professeur.


Nous aurons la joie d’accueillir Alexis Potschke à la librairie Charybde (81 rue du Charolais, 75012 Paris) mercredi 22 mai à partir de 19h30 pour évoquer ce premier récit d’une très grande richesse sur le bonheur d’enseigner.


Retrouvez cette note de lecture et et beaucoup d'autres sur le blog de Charybde ici :
https://charybde2.wordpress.com/2019/05/18/note-de-lecture-rappeler-les-enfants-alexis-potschke/

MarianneL
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le 18 mai 2019

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