Avertissement : Ceci est une tentative de vulgarisation pour expliquer en quoi la démarche du livre critiqué, que vous ne lirez probablement jamais, est originale. Un petit contact préliminaire avec la relativité est conseillé pour ne pas trop être perdu. (Quelques bribes de vulgarisation par ci par là. C'est suffisant.) Et si la physique vous barbe totalement... c'est dommage !



Here we go !



Un jour, sûrement un des professeurs les plus marquant que je n'ai jamais eu (et le simple fait que je me souvienne de ce qu'il a dit le prouve) nous a annoncé avec son air supérieur et hautain qui était sa marque de fabrique :



La vitesse de la lumière constante dans tous les référentiels ? Ça, c'est la version de la relativité qu'on raconte aux petits enfants avant de s'endormir le soir !



Que voulait-il dire par là ?



  • Son premier but était évidemment de faire valoir sa supériorité
    intellectuelle sur l'univers entier : je me souviens
    encore de ses "On écrit l'équation de Schrödinger, comme à l'école
    primaire !".

  • Son second but était de nous faire réfléchir sur ce que l'on avait
    appris : TOUT le monde (Des vulgarisateurs jusqu'à Einstein dans son
    article de 1905) aborde la relativité avec cette phrase La vitesse
    de la lumière dans le vide est constante dans tous les référentiels
    galiléens
    . Qu'est-ce qui pourrait être faux là-dedans ? Ou inutile ?
    Ou enfantin ?


C'est ici que ce professeur était génial, car il s'amusait avec un sourire malicieux à prendre appui sur nos connaissances pour mieux les déraciner et les replanter ailleurs. Les choses qu'il souhaitait nous faire comprendre n'étaient, avec le recul, aucunement complexe en soi. Peut-être subtiles : il est difficile d'en saisir la portée (même pour moi maintenant), mais lorsqu'on y réfléchissait bien, elles étaient toujours fascinantes.


Revenons-en à ce qui nous intéresse : La vitesse de lumière dans le vide constante dans tous les référentiels n'est aucunement "fausse", c'est juste un certain point de vue qui peut être compris autrement de manière plus géométrique. La procédure est simple et vous en avez déjà entendu parler dans les films de science-fiction : elle consiste à dire "Nous considérons un espace à quatre dimensions : l'espace-temps".


Dès que vous associez espace et temps dans une même entité, vous supposez implicitement que le temps et l'espace ont la même unité : seconde et mètre représente la même réalité physique avec deux noms différents. Ainsi il doit obligatoirement exister un facteur de conversion universel (comme celui qui permet de passer des secondes aux minutes par exemple) qui permet de passer des secondes aux mètres. Eh ben, appelons-le c et donnons-lui le nom Vitesse de la lumière dans le vide, même s'il n'a aucun rapport avec cette dernière ! Ainsi le c apparaît juste comme un facteur de conversion idiot entre deux unités équivalentes ! Evidemment constant partout, car il n'a, de ce point de vue, rien de physique : là réside la subtilité.


Mais comme l'idée est amusante, retournons encore notre veste ! Pour faire apparaître notre "c" dans le dernier raisonnement, j'ai supposé au départ que nous avions un "Espace-temps" ! Historiquement, le raisonnement s'est fait dans le sens inverse : l'expérience (Michelson et Morley) nous a montré que le postulat d'Einstein La vitesse de la lumière, nommée c, est la même dans tous les référentiels galiléens est vérifié. Bien. Reformulons : Il existe un facteur de conversion universel qui permet de passer d'un intervalle de temps à une distance parcourue. La conclusion naïve ? Penser que ce facteur est quantité physique pertinente.


Pour comprendre pourquoi, imaginons deux pays, avec deux définitions respectives d'une distance : le pouce et le pied. Ces pays ne savent réciproquement pas que ce qu'appelle l'autre est une distance. Mais après diverses expériences, ils ont remarqué l'un et l'autre qu'il y avait toujours 10 pouces pour un pied. Toujours. Ils vont donc énoncer cette loi Le nombre de pouces dans un pied est toujours égal à 10 quelque soit l'endroit où l'on se trouve.. Pourtant la conclusion importante n'est point qu'il y ait un facteur de conversion entre le pouce et le pied. La conclusion est : putain de bordel de merde ! On s'est totalement planté ! On a inventé deux unités pour une seule quantité physique pertinente : la distance !


Voilà donc qu'on peut interpréter le fameux postulat d'Einstein et l'existence de la constante c de cette manière Le temps et la distance représentent la même grandeur physique, on peut donc inventer un "Espace-temps" les réunissant.. La boucle est bouclée. De façon plus intuitive que rigoureuse, mais c'est comme cela que les théoriciens travaillent. Ce que j'ai raconté là n'est point l'interprétation (J'insiste sur le mot : interprétation.) d'Einstein, mais celle d'un autre monsieur immensément appréciable : Hermann Minkowski. Par contre, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : si le temps et l'espace ont la même dimension, elles n'ont clairement pas un rôle symétrique, on ne va pas s'amuser à bouger dans le temps comme je bouge à droite ou à gauche sur ma chaise.


Tout cela pour arriver à ce livre : voilà l'essence du point de vue d'Eric Gourgoulhon. Partir de l'espace de Monsieur Minkowski et non des fameux postulats d'Einstein rabâchés partout et construire toute la relativité restreinte sur celui-ci. Le développement mathématiques qui suit est sûrement à la fois le travail le plus élégant, général et complet que je n'ai jamais vu sur la question, ponctué de jolis schémas comme je les aime, d'encarts historiques pour remettre dans le contexte tout en insistant bien sur la physique des problèmes. Le travail de recherche en amont est également foutrement impressionnant lorsqu'on voit la liste des références qu'il cite.


Quel est l'intérêt d'une démarche géométrique me direz-vous ? (Si jamais vous avez réussi à survivre jusqu'ici.) Pourquoi parler d'espace-temps lorsque Einstein, Feynman dans ses cours, les vulgarisateurs ou encore les professeurs de Terminale S arrivent tous à dériver les conclusions principales de la Relativité (Dilatation des durées, notamment.) grâce aux postulats d'Einstein ? La réponse est une question d'esthétique, mais d'esthétique fondamentale : ce point de vue rend la théorie autonome.


Qu'est-ce que cela signifie ? Simplement ceci : lorsqu'on construit la relativité sur la bases des postulats, on la construit sur des notions de temps, de distance, de vitesse qui sont des notions de mécanique classique et non relativiste. On marche alors à l'envers, essayant de construire une théorie générale sur la base d'un de ses cas particuliers. On se prend alors claque sur claque en essayant de lier intuitivement la notion de "temps classique" à celle de "temps relativiste", ce qui n'amène à rien à part se faire des crampes au cerveau : c'est la fameuse crampe qui a dû vous prendre si jamais quelqu'un a essayé de vous expliquez la notion de dilatation des durées.


D'où l'intérêt de l'aspect géométrique qui construit une théorie quadri-dimensionnelle absolument générale dont les notions n'ont rien à voir avec la mécanique classique tri-dimensionnelle (Ligne d'univers, pseudo-métrique, cône de lumière, temps propre, tout plein de nom rigolo... !). On lie ensuite ces notions de relativité à la physique classique en la prenant comme cas particulier. Alors émerge les concepts usuels de temps et distances que nous avons l'habitude de manipuler et qui semblent intuitives. Et tout va bien dans le meilleur des mondes.


Maintenant, cette théorie un peu plus générale sera quelque peu abstraite et difficile à appréhender, un peu comme cette critique a peut-être été difficile à lire. Mais il reste que, même si cela n'engage que moi, la démarche en soi est absolument passionnante et peu mise en valeur dans la vulgarisation habituelle (qui a l'habitude d'introduire l'espace-temps comme si la notion allait de soi...). C'est aussi pour cela que j'avais envie d'écrire cette critique.


(Mais j'offre un bisous sur la joue à tout ceux qui ont survécu jusqu'ici sans défiler la pages !)

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le 3 mai 2015

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