Au milieu des centaines de titres sortis ces dernières années il dépasse fièrement. Le roman Ko-lo-ssal de Reinhard Jirgl est plus épais, plus ambitieux, plus riche, plus dingue, et comme son sous-titre l'indique justement, plus « nerveux ». Voilà donc un livre traversé d'éclairs, un livre électrique, oui, tendu comme une flèche, terriblement noir, où ses personnages se télescopent comme des planètes qui auraient traversé des milliers d'années pour la grande collision de l'inutile. Chez Lelouch, ça fait chabada quand les fils tissés se rejoignent enfin : musique, happy end. Chez l'allemand Jirgl, la lumière ne filtre plus, deux berlinois noyés de chagrins vivent dans des dimensions parallèles. L'un est chauffeur de taxi, l'autre écrivain raté. Leur rencontre tardive n'y changera rien.
Il n'y a plus grand-chose à espérer de ce monde « aussi rigide et gris qu'une langue de fonctionnaire ». Aussi Jirgl s'en prend au langage qu'il tire, déforme, réinvente comme d'autres avant lui. « Je veux écrire ma langue dans une langue étrangère » dit-il et on pense aux envolées du grand Hubert Selby Jr. Reinhard Jirgl tutoie parfois les mêmes cimes, même si l'on pourra reprocher à ce roman protéiforme de fonctionner peut-être par moments de bravoure. Le livre a ainsi parfois des allures d'essai (virulent) sur notre société capitaliste, d'article de journal ou de soliloque incontrôlable, l'érudition étant souvent renversante. On sent qu'il y a derrière cette épaisse matière littéraire l'ambition de toucher quelque chose du doigt, peut-être la littérature totale. Le verbe et ses excès – les moins téméraires seront priés de s'abstenir.