Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
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le 1 oct. 2017
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*Inspiré de la critique de Songe à ceux qui songèrent, qui s’inspire de celle de Walking Class Heroes, du même auteur…*
Partie intégrante de vingt-six volumes (un titre par lettre de l’alphabet) regroupant chacun vingt-six portraits (un nom par lettre de l’alphabet) autour d’un thème défini, Renonçants se place à mi-chemin, peut-être faudrait-il dire à tiers-chemin, de plusieurs traditions : celle des biographies express, celle des mélanges thématiques et peut-être celle de l’exercice de style – en gros, entre le Marcel Schwob des Vies imaginaires, le Ben Schott des Miscellanées et le Georges Perec de La vie mode d’emploi (1).
Ça pourrait être fastidieux. Ça ne l’est pas, notamment grâce au style – beaucoup plus fluide et digeste que celui de la phrase qui ouvre cette critique. L’auteur sait brosser des esquisses aussi laconiques que justes, comme lorsqu’il imagine à propos de William Wegman « l’archaïque amertume qui tordit le cou à tant de vocations picturales (et servit de ressort à quelques autres) : je n’arrive pas à représenter le monde, il faut que je renonce, ou que je le déforme » (p. 126). Il alterne sans pédanterie ni effets de manche, parfois dans un même paragraphe, entre portrait particulier et digressions générales : ainsi, Diogène se livrait à « toutes sortes d’excentricités publiques (les artistes d’aujourd’hui diraient des “performances”) » (p. 29).
Tout ceci est donc assez borgesien, finalement. Ce n’est pas un hasard si l’auteur de l’Histoire universelle de l’infamie est cité en toute fin d’ouvrage. Comme Borges, Michéa Jacobi a l’élégance de ne jamais sous-estimer son lecteur, ni le plaisir que ce dernier peut éprouver à s’arrêter pour réfléchir au milieu d’un bouquin comme on s’arrête dans un jardin pour respirer une fleur. Ainsi de cette remarque sur Antonio de Guevara : « Et quand il ne voit autour de lui que des hommes “fâchés, dévoyés, désespérés, pensifs, altérés, effondrés et tous joints, plus que perdus”, nous les voyons avec lui et ne doutons plus que le malheur de vouloir être un être particulier et un être social à la fois est irrémédiable » (p. 49). Et tout comme chez Borges, le sérieux dans Renonçants n’exclut pas l’humour, cette autre forme de l’élégance – cf. le passage sur Rimbaud qui « continua de marcher toute sa vie, jusqu’à ce qu’un chirurgien de Marseille l’en empêche, en lui sciant une jambe envahie par la gangrène » (p. 101).
Du reste, il est toujours plaisant de se voir rappeler que la littérature non seulement parle des autres domaines de l’esprit humain (il y a dans Renonçants des peintres, des poètes, un cycliste, naturellement beaucoup de religieux…), mais qu’elle parle de la réalité de tous les temps. Jusqu’à William Wegman et depuis saint Antoine. Oui.
(1) L’ensemble s’appelle Humanitatis Elementi. Il devrait se constituer de six cent soixante-seize portraits. Le lecteur qui pratiqua autrefois le calcul mental aura remarqué qu’après les lettres W (Walking Class Heroes, 2012), X (Xénophiles, 2015), R (Renonçants, 2016) et S (Songe à ceux qui songèrent, 2018), on n’attend donc plus que vingt et un volumes. S’il faut une autre référence, on peut penser aux 76 clochards célestes ou presque de Thomas Vinau.
Créée
le 11 janv. 2019
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