En matière de Chine, et notamment de Chine ancienne, Jacques Pimpaneau n'est pas le premier venu : aux éditions Picquier, il a déjà publié une dizaine d'ouvrages sur le sujet ; parmi ceux-ci, j'avais déjà lu "Les Chevaux Célestes" paru il y a quelques années, tandis que "Chine : Culture et Tradition" est dans ma pile à lire. Sa dernière parution, "Roman d'un saltimbanque", nous entraîne au 17ème siècle, entre la fin de la dynastie Ming et la prise de pouvoir par les Mandchous. Contrairement à ce qu'annonce le titre, ce n'est pas tout à fait un roman en bonne et due forme, mais plutôt la retranscription de mémoires fictives d'un acteur chinois imaginaire – du moins peut-on le supposer : Jacques Pimpaneau ne précise pas s'il s'est inspiré d'une personne réelle ou s'il a tout inventé.
Après un premier chapitre introductif, les six suivants correspondent aux différentes étapes de la vie du narrateur. Son récit fonctionne toujours un peu sur le même schéma : il rencontre quelqu'un qui lui donne l'opportunité de changer de métier, de situation, d'environnement, etc. Cela lui permet de se retrouver dans la posture du candide qui reçoit des explications sur tel ou tel aspect de la culture chinoise de son époque : croyances religieuses et superstitions populaires, commerce, politique, monde du théâtre et de l'opéra... L'ensemble est didactique et informatif, écrit dans un style assez neutre, sans grandes envolées littéraires. Le narrateur nous résume son parcours, sans jamais trop s'attarder, puisque son récit autobiographique embrasse un demi-siècle d'une existence riche, le tout en moins de 140 pages. Ainsi l'acteur suit-il les règles de l'écriture théâtrale plutôt que celles de l'écriture littéraire, telles qu'il les édicte dans l'avant-dernier chapitre : à la "rivière dont le courant est lent, qui laisse le temps d'admirer le paysage, de laisser sa pensée vagabonder" (l'écriture littéraire) il oppose le "torrent qui vous entraîne si vite à travers remous et méandres que la pensée se concentre sur la question "que va-t-il arriver ?" (l'écriture théâtrale). Nous sommes clairement ici dans ce deuxième cas de figure.
Plus qu'un véritable roman, on a donc un patchwork d'anecdotes personnelles, agrémentées de courts récits enchâssés dans le récit principal, car après tout nous sommes dans l'univers du théâtre et des conteurs. Auteur de nombreux ouvrages sur la littérature chinoise, on sent Jacques Pimpaneau passionné par la question, toutes les occasions sont bonnes pour nous faire découvrir un conte, une légende populaire ou l'argument d'une pièce de théâtre. Quant aux personnages rencontrés par notre héros, ils se contentent de jouer les utilités, ce ne sont que des silhouettes, des archétypes ; pour preuve, ils n'ont souvent pas de nom : le maître, la patronne, la jeune fille, le vieux... Mais ce n'est pas forcément une faiblesse du récit, c'est même un choix narratif plutôt cohérent, car cela fait écho aux marionnettes du théâtre d'ombres présentées au début de cette histoire. Les conteurs chinois, en effet, accompagnaient leurs spectacles de figurines articulées aux fonctions immédiatement identifiables par le public : guerriers, princesses, prêtres, servantes, divinités... C'est l'une des multiples petites choses que l'on apprend au gré des pérégrinations de notre conteur.
D'une lecture aisée et rapide, "Roman d'un saltimbanque" me paraît tout à fait accessible aux lecteurs qui ne sauraient pas grand-chose de la Chine ancienne. Mais ceux-ci auront-ils envie de lire un récit sur la vie d'un artiste itinérant du 17ème siècle ? Saluons le courage des éditions Picquier : ce n'est sans doute pas le genre de sujet le plus "bankable" qui soit... Du même auteur, j'ai d'ailleurs préféré "Les Chevaux Célestes", non pas qu'il soit intrinsèquement meilleur, mais tout simplement car la Route de la Soie et les relations entre la Chine et l'Asie centrale durant l'Antiquité sont des thématiques qui me parlent davantage. J'ai tout de même passé un bon moment de lecture avec "Roman d'un saltimbanque".