Robert Jones est un Noir intelligent et baraqué qui travaille dans les chantiers navaux à L. A. en 1944. Il est amoureux d'Alice, une assistante sociale métisse issue d'une famille noire rangée, qui accepte les injustices raciales dans l'espoir de monter dans la société. Bob n'est pas prêt à accepter cela, car il est confronté aux mille petites vexations racistes, à la peur des Blancs qui les amène à humilier quotidiennement les Noirs. Cette pression constante, qui se traduit notamment par des cauchemars, rend Bob très explosif, alors qu'il s'est hissé jusqu'au poste de chef d'équipe.

Un jour, il traite de putain une Blanche du Sud, Madge, qui l'a traité de nègre. Peu après, son patron le convoque et lui annonce qu'il va être licencié et sera donc mobilisable. Le reste du livre suit le chaos des émotions contradictoires qui assaillent Bob : doit-il s'excuser pour retrouver son poste, puis fonder un foyer avec Alice ? Doit-il céder à sa tentation d'utiliser son revolver pour dessouder un Blanc qui lui a administré une peignée après une partie de dés qu'il avait gagné ?

Au terme d'une série de circonstances malheureuses, Madge accuse Bob de l'avoir violée dans une cabine du bateau. Il est presque lynché. Les apparences étant contre lui, il s'enfuit. Alice, au téléphone, le supplie de se rendre. Il est arrêté lors d'un contrôle routier. Madge, pour éviter une émeute raciale au chantier, retire sa plainte, mais Bob n'échappera pas à l'armée.

-----------------------------------------------------------------

Voilà la trame principale, mais l'essentiel du livre, très réaliste, repose sur son rythme soutenu. Le récit est strictement focalisé sur Bob, et un nombre incalculable de petits incidents s'enchaînent pour l'amener jusqu'à une rage qui ne peut pas exploser. Cela va des piétons blancs faisant exprès de traverser lentement en voyant qu'il s'agit d'un noir aux insultes racistes, aux soudeurs blancs glandeurs qui trouvent des excuses pour ne pas venir aider son équipe, en passant par la surprise des Blancs quand Bob s'adresse à eux. Un épisode qui pose particulièrement bien l'ambiance est celui où Bob réserve une table dans un restaurant chic et y va avec Alice. Lorsque le chef de salle les accueille et se rend compte que c'est un Noir qui a réservé, on les places dans la table la plus discrète, et Alice résiste mal au faisceau de regards qui l'assaille.

On a pitié de Bob, qui dit se sentir comme une machine sur laquelle les Blancs presseraient des boutons. Le titre est particulièrement bien choisi : Bob n'a quasiment jamais de temps mort, ses quelques joies sont vite balayées par l'incident suivant, et il ne peut que réagir, alors qu'il ne demande qu'une chose : devenir maître de son destin. Sa voiture est sa seule marque de réussite. La violence est physique, morale et verbale, et l'environnement encombré et métallique du chantier est une belle allégorie de la société : les Blancs ont les meilleurs jobs, sur la superstructure, tandis que les Noirs sont dans les entrailles, dans un environnement dangereux.

Le livre ne propose pas tant de solution qu'il veut plonger le lecteur dans ce racisme quotidien. Et bien sûr, montrer comment l'individualisme américain pousse les Noirs à se montrer encore plus durs entre eux que vis-à-vis des Blancs. Le plus terrible, peut-être, ce sont ces moments où Bob, rabaissé et vulnérable, se sent "devenir Nègre".

Poignant et efficace. Je connaissais surtout le Chester Himes délirant, mais cette veine énervée n'est pas pour me déplaire.
zardoz6704
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le bateau comme allégorie sociale

Créée

le 8 sept. 2014

Critique lue 379 fois

2 j'aime

zardoz6704

Écrit par

Critique lue 379 fois

2

D'autres avis sur S'il braille, lâche-le

S'il braille, lâche-le
ConFuCkamuS
8

Us

Avant son exil en France et l'écriture du cycle de Harlem (avec pour personnages récurrents les inspecteurs Ed Cercueil et Fossoyeur Jones), Chester Himes s'était d'abord attaché à partager ses...

le 20 juil. 2021

1 j'aime

S'il braille, lâche-le
NicoBax
7

Critique de S'il braille, lâche-le par NicoBax

La colère qui habite le narrateur contre la société blanche (en Californie en l'occurence) pendant la seconde guerre mondiale. C'est dur et sexuel (comme la majorité de la littérature noire...

le 8 nov. 2010

1 j'aime

Du même critique

Orange mécanique
zardoz6704
5

Tout ou rien...

C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...

le 6 sept. 2013

57 j'aime

10

Black Hole : Intégrale
zardoz6704
5

C'est beau, c'est très pensé, mais...

Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...

le 24 nov. 2013

43 j'aime

6

Crossed
zardoz6704
5

Fatigant...

"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...

le 4 mai 2014

42 j'aime

60