Sacha
Sacha

livre de Samuel Champagne (2021)

Petit dernier d'une série de romans sur la thématique LGBTQ, la collection "Kaléidoscope", parus aux éditions de Mortagne, "Sacha" se profile donc comme un roman pour adolescents-Jeunes adultes qui aborde des enjeux liés à la famille, à l'orientation sexuelle et à l'émancipation de soi.


Sacha amorce le Cégep dans le programme pré-universitaire "Arts et Lettres" ( pour nos amis français: un pré-universitaire au Cégep: c'est deux ans de préparation dans un cursus spécialisé avant le baccalauréat universitaire dans un domaine affilié, dans ce cas-ci la littérature et les arts), loin de son groupe d'amis de l'époque de l'école secondaire. le jeune homme de 17 ans doit cependant composer avec plusieurs enjeux: une blonde qu'il n'aime pas vraiment, des entrainements de boxe avec son frère et son père pense qu'il est en réalité dans le programme "Sciences humaines" en vu d'entrer en faculté de Droit à l'université. Disons-le simplement: Sacha a une vie de façade, pour cacher à sa famille le fait que ce qui le passionne sont les livres, le violon, la musique et le fait qu'à douze ans, il a comprit qu'il pouvait avoir le béguin pour les garçons. Mais quand on vit dans une famille hautement homophobe et ancrés dans les pires stéréotypes de genre propres à une époque antérieure, être lui-même n'est tout simplement pas possible. Et un jour, Sacha rencontre Olivier, amateur de musique, de guitare et futur intervenant en délinquance, aux improbables yeux verts pomme et gay assumé. C'est à travers l'univers d'Olivier que Sacha pourra constater qu'une grande part de ce le constitue a été occulté et c'est à travers leur nouveau réseau d'amis commun et son amour pour Olivier que Sacha pourra s'émanciper.


Donc, ce roman propose une homoromance dans un contexte où l'un des deux garçon provient d'un milieu où domine la fermeture d'esprit, une certaine psychorigidité et des valeurs conservatrices assez tenaces. Ce n'est pas simplement la question d'être gay qui pose ici problème, mais tout ce qui constitue le stéréotype du "mâle alpha" idéal: la virilité, la brutalité, l'absence d'émotions ( autre que la colère), l'absence de certains domaines jugés trop féminins ( la musique, les romans, certains corps de métier) et certains traits de personnalité. À bien des égard donc, on parle de "masculinité toxique", qui trouve racine dans une figure paternelle toute-puissante.


Dans ce contexte, on aura donc droit à toute sorte de préjugés, très souvent non-fondés ou incorrects, de la part de plusieurs personnages, les pires venant souvent du père de Sacha. L'ironie est double, car ce derniers est policier. le rôle du policier moderne étant axé dans l'intervention sociale beaucoup plus qu'autrefois, c'est donc assez consternant de voir un représentant des forces de l'ordre aussi macho, rigide et rempli de préjugés. En même temps, on a le vieux cliché du "policier viril" qui ne doit pas aider. Bref. le problème est que ce père buté a par conséquent pleins pouvoir sur la famille, transmettant ses valeurs désuètes à ses enfants. Sacha a donc son jeune frère David sur le dos et sa soeurs Laurie aura aussi du mal quand il fera son coming out. Sa mère, pour sa part, reste dans l'ombre, figure maternelle servile et incapable de faire valoir son opinion. Elle aussi aura beaucoup de mal à accepter l'orientation de son deuxième enfant. Charmante famille.


On a donc un ado assez bien "planqué dans son placard", si je puis dire, une image d'ailleurs ramenée fréquemment dans le récit pour marquer la progression de Sacha dans son "coming out". le roman va donc suivre sa lente mais sure progression hors dudit placard. Une sortie qui ne sera pas facile, vu la profondeur des préjugés et du conditionnement opéré en ce sens. Néanmoins, Sacha a le support d'Olivier, un personnage qui a une bonne tête, une bonne compréhension et une certaine maturité ( il a deux ans de plus que Sacha, il faut dire). Ce personnage semblait même mieux comprendre où en était Sacha que lui-même. Olivier est réellement un superbe personnage et une figure très positive, autant pour Sacha que pour les Lecteurs qui lisent le roman.


Olivier vient d'un milieu totalement contraire à celui de Sacha, ce qui explique sans doute qu'il a une confiance et une estime de soi clairement plus solides. Une famille chaleureuse, ouverte, soudée, marquée par des valeurs comme le respect, la camaraderie et la collaboration. Tout le contraire de celle de Sacha, marquée par la compétition, le paraître, la hiérarchie et la rigidité. le contraste entre les deux mondes est saisissant et marque deux extrêmes de dynamiques familiales. La présence de ces deux mondes est un élément abordé dans le roman que j'ai beaucoup aimé.


La relation entre les deux garçons était belle à voir. Sacha et Olivier ont plusieurs intérêts communs, une belle chimie, une façon de communiquer saine ( pas toujours adroite, mais saine). Ils sont capables de faire un retours sur les éléments épineux et sont animés d'une touchante tendresse l'un pour l'autre. J'ai beaucoup aimé le fait qu'ils ne tombent ni l'un ni l'autre dans les clichés associés aux hommes gay. Ni maniérés, ni "diva", ni efféminés, ils sont au contraire assez ordinaires et il est bon de rappeler que les personnes ayant une orientation sexuelle minoritaires n'en sont pas moins diversifiés au même titre que les hétéros. J'ajouterais que je les trouve très mignons dans leur façon d'être.


Aussi, quand on arrive à aborder la question des rapports sexuels, ce roman est le seul à avoir su traiter du fait que certains couples gay ne font pas dans les rapports anaux, contrairement à la vaste majorité des romans homoromantiques où ce type de relation est présent, voir sur-représenté. On marque aussi la différence entre la "baise" et "faire l'amour", un aspect qui peut encore être difficile à cerner pour nos ados dans notre société hypersexualisé.


On n'est pas en reste pour les personnages secondaires, eux aussi très variés. C'est un élément très important dans un roman qui traite de la différence et de la diversité que d'avoir foison d'opinion et de façon de voir la vie, parce que c'est ainsi qu'est fait le monde. Ni tout blanc, ni tout noir. Autrement, on tombe dans la structure d'esprit rigide du père de Sacha, incarnation de l'intolérance et de l'esprit étroit.


Enfin, niveau écriture, on navigue sans problèmes. On a des passages très émotifs, certains croustillants, d'autres amusants. L'humour côtoie le drame, souvent sarcastique, les répliques sont souvent tordantes. Ça se lit tout seul. Ce n'est pas le français le plus poétique que j'ai vu, mais ça le mérite d'être claire et l'auteur ne nous épargne pas les détails des émotions et du ressenti. La mise en page est aérée. Certains passages en italique sont ceux de Sacha à 20 ans, soit son "lui" au présent face aux reste du roman, qui est "lui" au passé , à 17 et 18 ans.


C'est donc un bon roman dans son genre, un des meilleurs que j'ai lus même, et vu les nombreux sujets à caractère sociaux qui sont mit en valeur, c'est aussi un roman pertinent que divertissant.


Il me donne aussi envie de découvrir les autres romans de la collection.


Un roman pour le lectorat du second cycle secondaire ( 15 ans+).


Pour les profs et les bibliothécaires: Il y a certains allusions, vocabulaire et passages à caractère sexuel et quelque jurons, mais rien de très osé ou violent. Et comme il s'agit d'un roman abordant en partie l'intolérance face à la communauté LGBTQ, il y a bien sur des propos offensants, mais c'est bien dans un but de dénoncer cette intolérance.


Pour d'autres romans sur la thématique romance LGBTQ excellents:



  • Birthday, B.Russo

  • Chimie 501, J. de Angelis

  • Pourquoi pas nous? Albertalli et Silvera

  • Été 85 ( Anciennement "La danse du coucou"), A.Chambers

Shaynning

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